Les vases du kylikeion

1- La Tombe du Navire

La Tombe du Navire datée du milieu du Ve siècle av.J.-C. (entre 440 av.J.-C. et 425 av.J.-C. selon les sources) se situe sur le plateau de Monterozzi à Tarquinia. Lors de sa découverte en 1958, il ne restait que les peintures murales, le mobilier ayant été pillé. La tombe possède une unique chambre funéraire quadrangulaire de dimensions 4,70 m sur 3,45 m pour 3,5 m de hauteur. Un dromos en escalier permet d’y accéder.  Les peintures murales sont aujourd’hui conservées au musée archéologique de Tarquinia. Les parois de la chambre ont été très endommagées par l’humidité et certaines zones se sont détachées ou ont été abimées par le salpêtre. La décision a donc été prise de les transférer sur des toiles de chanvre (un procédé inventé par le Docteur Carità) afin de les conserver dans des structures adaptées. Les thèmes représentés sont le symposion sur la paroi du fond et une partie des parois droite et gauche selon un plan en pi. Une scène maritime sur la paroi de gauche donne son nom à la tombe et précède le kylikeion. Elle représente un navire de commerce de grande taille et met en évidence le commerce florissant qu’entretenaient les Étrusques avec les autres pays méditerranéens. La transition entre la paroi de gauche et la paroi du fond se fait par la représentation picturale du kylikeion que nous pourrions traduire par « vaisselier » qui montre la préparation du banquet. Plutôt bien conservé, il permet d’étudier la vaisselle de luxe utilisée lors du symposion.

Le kylikeion, d’origine grecque apparait dans les représentations picturales au cours du VIe siècle av. J.-C. lors des scènes de symposion. Il expose les objets utilisés lors du banquet. Ce vaisselier apparait à Tarquinia principalement au cours du Ve siècle avant J.-C. dans les tombes peintes.

Kylikeion de la Tombe du Navire à Tarquinia. Auteur : Eugénie Renard.
  • La scène droite de la paroi gauche de la tombe du Navire représente un meuble portant six vases :
    • Un cratère à colonnettes en céramique à figures noires servant au mélange, à la conservation et au conditionnement. (A)
    • Trois olpés qui ont pour fonction de verser le vin. (B)
    • Une hydrie ou une amphore en bronze. (C)
    • Une amphore en céramique à figures noires utilisée pour la conservation. (D)
    • Un vase en bronze qui ressemble à un stamnos est peu visible et se trouve sur la droite du meuble. Ce type de vase sert pour la conservation du vin. Cette interprétation reste hypothétique. (E)
  • Au sol au premier plan sont représentés :
    • Un bassin en bronze, à rebords perlés et peut-être tripode, sert pour les ablutions durant le symposion. (F)
    • Un œnochoé trilobée de type Schnabelkanne qui a pour fonction de verser le vin. (G)
  • Sur le mur sont suspendus :
    • Deux kylix en céramique à figures noires ornées d’une bande grecque qui font office de coupe à boire. (H)

Quatre vases à figures noires de probable production attique sont présents parmi les vases des fresques de la tombe. Ce style est caractérisé par l’abandon des motifs géométriques pour se concentrer sur la figure humaine et les scènes mythologiques. Ici, le cratère à colonnettes (A) possède selon l’interprétation des figures noires en silhouette représentants une frise de deux personnes encadrant un centaure. Cette scène représente sûrement une centauromachie puisqu’on voit un soldat avec un bouclier. Dans la même interprétation de Weber-Lehmann, les deux kylices (H) sont ornées d’une bande grecque au vernis noir. Le peintre de la tombe du Navire s’est donc inspiré des vases de son époque dont il avait la connaissance. La présence de la céramique à figures rouges est tardive en Étrurie malgré son apparition dans le monde attique depuis la fin du VIe siècle. Les premiers exemples de la figure rouge qui apparaissent en Étrurie se situent au milieu du Ve siècle av. J.-C. Le peintre de la Tombe du Navire devait donc avoir une connaissance accrue de la céramique à figure noire, implantée en Etrurie dès la seconde moitié du VIe et encore active dans les ateliers de Caere au milieu du Ve siècle av. J.-C.

Deux types de vases se mêlent au sein du service à banquet. Les vases peints, visiblement attiques, et les bronzes fabriqués localement dans les ateliers de Vulci ou de Cerveteri. Dans cette scène de kylikeion, on peut constater que les bronzes sont beaucoup plus nombreux que la céramique peinte. Leur production par des ateliers locaux est une explication à cette prédominance. L’image peinte permet de compléter les fouilles archéologiques qui ne permettent pas un rendu détaillé du bronze, souvent corrodé et fréquemment pillé aux époques postérieures pour être refondu.

On peut identifier une œnochoé de type Schnabelkanne. Ces vases sont de fabrication étrusque et proviennent en particulier de Vulci et de Tarquinia. Des chercheurs, notamment Bernard Bouloumié, ont montré leur présence en Gaule celtique. L’exportation des vases étrusco-italiques en bronze vers le au Nord des Alpes montre une croissance des influences méridionales et l’importance du commerce avec l’Étrurie. Les vases en céramique à figures noires attiques montrent également de forts liens commerciaux entre Athènes et l’Étrurie. Le kylikeion permet donc aux historiens de l’art d’avoir une vue d’ensemble sur la vaisselle qu’utilisaient les Étrusques lors du symposion. Par ailleurs, il met en évidence les échanges commerciaux florissants entre l’Étrurie, le monde grec et la Gaule celtique.

Bibliographie

BONNIN Jacques, « La tombe du Navire de Tarquinia et le navire étrusque du commerce », dans La Houille Blanche, n°6, octobre 1991, p. 473-484, [en ligne], consulté le 03/12/2021. (https://www.shflhb.org/articles/lhb/abs/1991/05/lhb1991046/lhb1991046.html)

BOULOUMIE Bernard, “Les œnochoés en bronze du type Schnabelkanne en France et en Belgique”, dans Gallia, tome 31, fascicule 1, 1973. p. 1-35.

C. Weber-Lehmann, « Zur Ausstattung etruskischer Klinengelage: Ergebnisse historischer und moderner Dokumentationen der Grabmalerei Tarquinias », dans A. Barbet (ed.), La peinture funéraire antique, IVe siècle av. J-C – IVe siècle ap. J-C. Actes du VIIe colloque de l’Association internationale pour la peinture murale antique (6-10 octobre 1998, St-Romain-en-Gal), 2001, p. 29-37.

2-La Tombe des Vases Peints

La Tombe des Vases Peints ou Tomba dei Vasi Dipinti fut découverte en 1867 sur le site de la nécropole étrusque de Monterozzi à Tarquinia. Datant du Ve siècle avant notre ère, cette tombe à plan carré est de petites dimensions : 3,17 x 3,16 x 1,95 m, et possède un décor peint sur ses quatre parois et son plafond, à double pente.  

Lors de la découverte de la tombe des Vases Peints, la décoration était bien conservée mais elle fut vandalisée quelques années plus tard. Certaines parties des murs peints ont été découpé et enlevé. Grâce à de nombreuses techniques de restauration et à une collaboration internationale de Maria Cataldi (ancienne fonctionnaire archéologue de la Surintendance) et Annette Rathje (archéologue à l’Université de Copenhague), le tombeau fut restauré en 2021. Afin de connaître l’aspect originel de ces décors, le recours à la documentation ancienne : reproductions à l’aquarelle, photographies, fac-similés, est nécessaire. Les fac-similés les plus complets furent réalisés par Carl Jacobsen et sont conservés au musée Ny Carlsberg Glyptotek à Copenhague.

Sur les frontons des parois de l’entrée et du fond sont représentés des hippocampes et des serpents marins affrontés autour d’une console centrale. Les fresques peintes sur les quatre murs de la chambre illustrent une scène de banquet. Sur la paroi du fond se trouve un couple à demi allongé sur une kliné, dans une scène familiale empreinte d’affection conjugale, avec leurs deux enfants assis à droite sur un diphros. Ils sont entourés de serviteurs. Les parois de droite, de gauche et de l’entrée illustrent des scènes de danse avec des joueurs de flûte et de lyre. Des guirlandes sont représentés au-dessus des scènes sur toutes les parois. De plus, des arbustes ponctuent l’espace pictural et créent un décor végétal en extérieur.

Les scènes peintes renvoient au domaine grec oriental. Notamment par le thème du banquet qui est d’influence grecque. Très récurrent durant l’époque archaïque et classique en Étrurie, le thème du symposium permet de célébrer le défunt. On remarque la représentation de la femme participant au banquet, une image qui montre l’adaptation de cette iconographie aux habitudes sociales étrusques. La femme n’est pas représentée dans ces scènes chez les Grecs.  

De plus les guirlandes représentés permettent de faire écho aux guirlandes végétales que l’on pouvait disposer à l’entrée des tombes renvoyant au renouveau végétal et à la vie éternelle. La danse permet de perpétuer les joies terrestres pour le défunt. Le rituel du symposion représenté dans cette tombe a un caractère aristocratique par la richesse du service à banquet représenté.

Le kylikeion dans la Tombe des Vases peints. Auteur : Olivia Renou.

Notre étude du kylikeion et des vases peints se concentre sur les peintures de la paroi de droite. Cette paroi représente à gauche un arbuste positionné à côté du kylikeion. Sur cette table est représenté un service complet pour la consommation du vin. On trouve en-dessous, posées au sol, deux coupes renversées utilisées pour boire le vin, de type attique à figures noires. Au-dessus, disposées sur le kylikeion, deux amphores à figures noires servent à la conservation du vin. Entre ces deux amphores, un cratère à volutes en bronze pour le mélange du vin.

Concernant le décor de ces vases, seules les deux amphores possèdent un décor figuré. La première possède un décor de deux chevaux avec un homme au centre : ce motif de « maître des chevaux » évoque les valeurs de l’aristocratie grecque. Sur la seconde amphore située à droite, une scène de komos avec des satyres dansants est représentée, en référence à la sphère dionysiaque. On peut supposer que cette scène sert de modèle ou de copie de la scène représentée sur cette même la paroi où l’on voit un danseur positionné de la même façon que les danseurs représentés sur l’amphore.

Les vases à figures noires représentés, probablement importés de Grèce ou bien produits dans des ateliers d’Étrurie méridionale, ont donné son nom à la tombe et montrent l’influence grecque présente dans tout le décor peint. Ils illustrent le service complet du symposion, accentuant la fonction rituelle de la scène.

Bibliographie

Vases en voyage : de la Grèce à l’Étrurie, catalogue de l’exposition au Musée Dobrée, 2004-2007, Paris, 2004.

JANNOT J.-R., « Les vases métalliques dans les représentations picturales étrusques », dans Revue des études anciennes, 1995, p.167-182.

3-La Tombe des Hescanas

La Tombe des Hescanas, autrement appelé Tomba di Castel Rubello ou Tomba dei Tarquinii, est datée du IVe siècle av. J.-C. Elle fut découverte en 1883 à Molinella, près de Castel Rubello à Orvieto. C’est une tombe hypogée à plan carré à laquelle un dromos à escalier nous permet d’accéder. Les dimensions de la tombe sont de 7,35 x 6,10 x 1,93m. En partie violée lors de sa découverte, il existe deux lieux de conservation des fresques : certaines fresques sont restées in situ en très mauvais état, et une autre partie des fresques est conservée au Musée Archéologique National d’Orvieto.

Le kylikeion dans la Tombe des Hescanas. Auteur : Eugénie Renard et Carla-Marie Prénat.

La tombe possède six scènes figurées qui composent la représentation du voyage du défunt vers l’au-delà ainsi que la pratique du banquet. Notre étude sur le kylikeion et les vases peints dans la tombe portera sur une fresque située sur le mur de la paroi d’entrée. La paroi d’entrée est divisée en deux parties, séparée par la porte. Sur la partie droite est représentée un moment du banquet sur lequel on peut distinguer deux personnages : de celui à droite ne reste qu’un fragment de son avant-bras qui tient une petite olpé, alors que l’autre personnage, restitué hypothétiquement dans son intégralité à gauche, représente un homme de profil drapé dans un manteau blanc, marchant vers la droite en s’aidant d’un bâton. Une inscription au-dessus de sa tête indique « PENITATE HESCANAS ». A l’arrière-plan, une table tripode supporte quatre grands vases dont : un cratère à volutes, deux olle, un bassin ainsi qu’une petite olpé. Aux pieds de la table, deux olle et un second bassin. La scène repose sur une plinthe soulignée par une épaisse ligne noire.

L’iconographie formelle du service à symposion se définit par deux types de vases comprenant un vase à verser et un vase à boire. Sur la fresque, les vases sont disposés exposés sur la table tripode. On distingue plusieurs types de vases réunis : en bronze et en céramique peinte. Ces derniers sont utilisés dans la pratique du banquet pour mélanger, conditionner et conserver le vin. Le cratère à volutes est une production d’Apulie apparut vers 360-330 avant J.-C., et qui a pour fonction de mélanger le vin. L’olla est une forme typiquement étrusque servant aussi bien à contenir du vin que de la nourriture. De plus, il y a aussi des vases contenant du liquide. C’est le cas des olpai utilisés pour le service, une production grecque et attique apparue vers 550 av. J.-C. Dans le cadre du banquet figuré ici, les olpai contiennent du vin. Celles-ci se composent d’une lèvre arrondie, d’une embouchure ronde évasée, d’un col élevé,  d’une panse ovoïde élancée reposant sur un pied annulaire, ainsi qu’une anse surélevée. Selon les reproductions de Gatti, les bassins seraient en bronze et contiendraient de l’eau. Leur fonction est probablement liée aux ablutions avant la pratique du banquet. Ainsi, ces nombreuses pièces illustrent un service à symposion complet qui permet à la fois de conserver le vin, de le servir et de le consommer, mais aussi, par la présence des bassins, à des usages plus rituels ou hygiéniques lors du banquet.

Le statut aristocratique de la famille Hescanas est souligné par la richesse de la vaisselle en bronze ainsi que la représentation d’un serviteur tenant un vase à droite du kylikeion. L’inscription étrusque « PENITATE HESCANAS » indique le nom d’un membre de la famille, le personnage de gauche qui s’appuie sur un bâton.

La topographie des vases peints nous renseigne également sur la fonction religieuse et rituelle des peintures de la tombe. La figuration du monde de l’au-delà est une iconographie caractéristique de l’époque classique (470-320 av. J.-C). Dans la tombe des Hescanas, l’association des différentes fresques sur les autres parois avec celle du kylikeion représentent les différentes phases du voyage parcouru par l’âme du défunt jusqu’à son arrivée dans l’au-delà. En effet, sur la partie gauche de la paroi d’entrée, et symétriquement à la fresque avec le kylikeion, est illustrée le voyage du défunt sur un bige tiré par deux chevaux. Les parois latérales figurent son arrivée aux Enfers et la paroi du fond montre la dernière phase du banquet funéraire auquel celui-ci est admis dans le monde éternel.

Les fresques de la Tombe des Hescanas ont alors une valeur eschatologique :  accompagner l’âme du défunt. Le kylikeion symbolise donc la dernière étape de ce voyage dans laquelle le banquet funéraire célèbre la bonne arrivée du défunt dans l’au-delà.

Bibliographie

PAIRAULT MASSA F. H., « Problemi di lettura della pittura funeraria di Orvieto », dans Lettura e interpretazione della produzione pittorica dal IV sec. all’ellenismo, Université de Pérouse, Acquasparta, 1983, p. 19-42.

STEINGRABER S., Catalogo ragionato della pittura etrusca, Milan, 1984, p. 285-286.