La figure du collectionneur

Portrait-type du collectionneur français du XIXe siècle (© Sarah Degenne)

En visitant des musées comme ceux de Tours, Bourges ou encore Angers, ne vous êtes-vous jamais demandé comment des vases et objets antiques découverts dans la péninsule italienne ont pu arriver dans ces musées du territoire français ? C’est une question légitime si l’on considère que même une petite commune de 4 000 habitants comme La Châtre possède une cinquantaine d’objets étrusques et grecs, dont certains étaient exposés pour la première fois à l’occasion d’une exposition au musée Georges Sand et de la Vallée noire, à la fin de l’année 2022. La réponse à cette interrogation concernant la provenance d’artefacts antiques est en réalité plus complexe que la simple politique muséale d’achat ou de prêt mise en place par ces institutions auprès de musées nationaux, tels que le Louvre, et nous incite de facto à nous questionner sur la figure du collectionneur au XIXe siècle. 

Afin d’admirer des objets d’art, le visiteur d’aujourd’hui se rend au musée. Cependant, l’apparition d’institutions muséales telles que nous les connaissons aujourd’hui, ouvertes à tous, est en réalité assez récente. Au XIXe siècle, période de grandes découvertes archéologiques, les collections d’art revêtaient un caractère bien plus privé, puisqu’elles étaient créées par des individus appartenant à l’élite de la socité et qui constituaient leur propre collection en réunissant des objets. C’est la définition même du collectionneur : « Celui qui aime à réunir des objets ayant certains points communs, en raison de leur valeur scientifique, artistique, esthétique, documentaire, affective ou vénale »1. De même que des échanges et des ventes sont encore réalisés aujourd’hui entre les musées, ces collections étaient bien souvent conçues selon une finalité mercantile. 

S’agissant des grandes figures de collectionneurs du XIXe siècle, il est assez facile d’en donner un portrait type : ce sont tous des hommes blancs d’un rang social élevé, ayant reçu une éducation culturelle et littéraire, et se caractérisant donc par une grande érudition. Ces aristocrates évoluent dans un milieu influencé par la culture antique et ses grands philosophes et, s’ils ne vivent pas près des sites archéologiques, s’y rendent souvent, lors de voyages d’agrément, mais surtout d’éducation et d’érudition. À l’époque, le collectionnisme était considéré comme le symbole d’un statut social éminent et d’un certain raffinement culturel.

Les collectionneurs ont des goûts variés et s’intéressent souvent à plusieurs civilisations en même temps : égyptienne, grecque et romaine, mais également étrusque, peuple moins connu de nos jours en France. La civilisation étrusque était très populaire au XIXe siècle, au même titre que la civilisation grecque. Les collectionneurs, de nationalités diverses comme le marquis de Campana ou la famille Médicis, de nationalité italienne, ou encore Lucien Bonaparte, frère de Napoléon Bonaparte, possédaient des objets de toutes les époques, des périodes antique, médiévale, moderne et contemporaine. Certains, en revanche, s’intéressaient à un peuple en particulier, comme la famille italienne Campanari de Tuscania, originaire de Toscane, territoire de la péninsule italique sur lequel étaient installés les Étrusques. 

Cependant, il est important de préciser que les Étrusques étaient une grande civilisation, admirée dès l’Antiquité, et notamment par l’empereur Claude, qui peut être qualifié d’étruscophile. Suétone raconte en effet dans sa biographie (Suétone, Claude, XLII, 5) que l’empereur julio-claudien a écrit vingt livres sur l’histoire du peuple étrusque. Aux XVIe et XVIIe siècles, un véritable phénomène d’étruscomanie apparaît, suscité par la découverte de grandes statues de bronze comme la Chimère d’Arezzo en 1553 ou encore l’Arringatore en 1556, découvertes qui ont entraîné des fouilles ayant permis de mettre au jour des sites comme Tarquinia, Vulci et Volterra. Par ailleurs, la rédaction de De Etruria regali, de 1616 à 1619, par l’érudit écossais Thomas Dempster, qu’il dédicace au grand-duc Cosme II de Médicis, a relancé cette passion pour la civilisation antique, et le débat sur la supériorité des civilisations se polarise alors entre Étrusques et Romains.

Cette passion a même entraîné la naissance du style étrusque au XVIIIe siècle alors que les fouilles s’intensifient. Ce style fait partie d’un mouvement plus général appelé le style néo-classique ; le style étrusque s’inspire de l’art étrusque, et influence également le mouvement romantique de l’époque avec un amour pour les ruines. De cet engouement naît d’abord l’étruscomanie, au XVIIIe siècle, puis l’étruscologie au XIXe siècle. Une publication de l’abbé Luigi Lanzi en 1789 marque une nouvelle ère, puisqu’il applique une méthode sérieuse de recherche des éléments nouveaux, lui ayant notamment permis de prouver que des centaines de vases trouvés dans les nécropoles étrusques étaient en réalité grecs. Cet intérêt pour le peuple étrusque fait augmenter la demande pour les objets originaux et bien conservés, les aristocrates désirent collectionner des objets authentiques. 

Ce phénomène de collectionnisme est donc alimenté par les grandes découvertes ainsi que la professionnalisation de la recherche sur les Étrusques. On peut citer l’exemple de Jules Dumoutet, archéologue berruyer, qui a rapporté de son voyage en Italie de nombreux vases et divers objets, ensuite légués au musée de Bourges. De même, le général de Beaufort, homme militaire français, collectionneur par ailleurs d’oiseaux et de monnaies antiques, a ramené de sa garnison en Italie une collection d’objets grecs et étrusques, ensuite léguée au musée de La Châtre. Alors en poste à Corneto, l’ancienne Tarquinia, il aurait découvert la tombe de l’Ogre, une des plus belles tombes peintes étrusques. Par ailleurs, les musées provinciaux ont également bénéficié de l’envoi de pièces de la collection du marquis de Campana, comptant plus de 4 000 vases antiques, achetée par Napoléon en 1861 avant d’être cédée au Louvre et répartie dans les musées français. Ainsi, c’est donc bien grâce aux dons, legs et rachats des collections formées au cours du XIXe siècle par les collectionneurs que nos musées sont dotés d’œuvres antiques diverses et variées.

1. Définition du CNRTL : https://www.cnrtl.fr/definition/collectionneur.


Bibliographie

  • F. Boitani, « Sur les traces d’une civilisation : de l’étruscomanie à l’étruscologie », dans F. Boitani, A. M. Moretti Sgubini (dir.),Étrusques, un hymne à la vie, Paris, 2013, p. 275-280.
  • P. Bailly, « L’Étrurie aux musées de Bourges », Cahiers d’archéologie et d’histoire du Berry, 88-89, 1987, p. 42-51. 
  • F. Silvestrelli, Le duc de luynes et la découverte de la Grande Grèce, Naples, 2020