Les écrits savants aux XVIIIe et XIXe siècles

Depuis la Renaissance, les sociétés savantes et les érudits développent un goût particulier pour l’Antiquité. Cette curiosité pour l’art antique a conduit à l’émergence d’une réelle passion pour le monde étrusque appelée « étruscomanie », les savants étant nombreux à s’être intéressés à cette civilisation. L’intérêt pour cette dernière s’accroît au cours des XVIIIe et XIXe siècles, faisant naître une véritable discipline, l’étruscologie. Il s’agit de comprendre quelles personnalités ont marqué l’évolution des écrits savants sur la civilisation étrusque et d’appréhender la naissance d’une nouvelle discipline.

Le rôle joué par l’étruscomanie et les découvertes dans les écrits savants

G. Campana, Antiche opere in plastica discoperte, raccolte, e dichiarate da Gio. Pietro Campana, Rome, 1842 (Image issue de Arachne.uni-koeln.de, CC BY-NC-ND 3.0)

Les XVIIIe et XIXe siècles sont marqués par une augmentation des fouilles archéologiques en Italie qui permettent la découverte de nécropoles étrusques comme celles de Volterra et de Tarquinia. Ces découvertes permettent de mettre en évidence des éléments caractéristiques de la civilisation étrusque. L’effervescence autour de l’Étrurie crée une véritable étruscomanie. En effet, les contemporains participent à la création de nouvelles collections qui conduisent à une grande production d’écrits savants sur les Étrusques autant d’un point de vue historique qu’archéologique. De plus en plus de savants s’intéressent à l’Étrurie ce qui conduit à la création de nouvelles institutions. Rassemblant de nombreuses collections étrusques, les institutions permettent aux érudits et aux artistes de s’y intéresser davantage. Ainsi, l’Accademia Etrusca di Cortona est fondée en 1726 par les frères Marcello et Ridolfino Venuti. Celle-ci devait permettre aux savants d’accéder à une riche bibliothèque composée d’un grand nombre d’ouvrages consacrés aux Étrusques. Johann Joachim Winckelmann (1717-1768), aujourd’hui considéré comme le père de l’Histoire de l’Art, porte un intérêt particulier à cette institution. Il s’intéresse aux circulations artistiques et mentionne l’art étrusque dans son Histoire de l’art dans l’Antiquité paru en 1764. De la même manière, le français Anne Claude de Caylus (1692-1765) rédige un Recueil d’antiquités égyptiennes, étrusques, grecques et romaines entre 1752 et 1765 qui regroupe plus de deux mille huit cent quatre-vingt-dix objets antiques d’origines égyptiennes, étrusques, grecques et romaines. La plupart des objets étudiés composaient les collections personnelles de l’auteur, dont certains provenaient des récentes fouilles archéologiques de Pompéi et d’Herculanum. La production écrite du XVIIIe siècle est aussi marqué par la recherche d’un héritage de la civilisation étrusque en Italie et les écrits de Giovanni Battista Piranesi (1720-1778) s’inscrivent dans ce contexte. En effet, l’auteur des Antichità romane de 1761 qui a participé à la diffusion du goût pour l’Étrurie en Europe, montre que l’architecture romaine est héritière de l’art étrusque et non de l’art grec comme le pensaient les Français. Le collectionneur Giampietro Campana (1809-1880) a, par exemple, réunit un grand nombre d’objets antiques dans une collection sur laquelle il n’a écrit que deux monographies, mais a laissé à d’autres érudits l’occasion d’étudier largement sa collection. Giuseppe Micali (1768-1844) s’intéresse, aussi, aux origines de la civilisation romaine dans un ouvrage paru en quatre volumes en 1810 puis traduit par Désiré Raoul-Rochette (1789-1854) en 1824 et intitulé L’Italie avant la domination des Romains. L’auteur a suivi la thèse de l’historien grec Denys d’Halicarnasse qui pensait que les Étrusques étaient des autochtones, thèse non suivie par les savants de l’école allemande. La production écrite sur l’Étrurie s’inscrit, ainsi, dans un contexte plus large de rivalités entre les communautés savantes.

La voie vers une nouvelle étude de la civilisation étrusque, l’étruscologie

G. Dennis, Cities and Cementeries of Etruria, Londres, 1848

La production de l’abbé Luigi Lanzi (1732-1810) ouvre la voie à l’étruscologie en tant que discipline scientifique. Archéologue, homme de lettres et ecclésiastique, il s’intéresse d’abord à la linguistique en publiant en 1789 un essai sur la langue étrusque intitulé Saggio di lingua etrusca e di altre antiche d’Italia per servire alla storia dei popoli, delle lingue e delle belle arti. Cet ouvrage, qui connaît un véritable succès, est l’une des premières recherches étruscologiques conduites avec une méthode rigoureuse regroupant les outils nécessaires à la compréhension des inscriptions antiques.  Au cours du XIXe siècle, ce sont les savants allemands qui se sont davantage distingués dans la production d’écrits sur la civilisation étrusque. En effet, certains scientifiques, dont Eduard Gerhard, ont créé l’Institut de Correspondance archéologique qui devait conduire, annuellement et systématiquement, à la publication de l’état des découvertes réalisées chaque année. De plus, le XIXe siècle voit l’émergence d’un intérêt particulier pour le tourisme et, par conséquent, pour le guide de voyage. Ainsi, George Dennis publie en 1848 un ouvrage réunissant les lieux significatifs pour comprendre la civilisation étrusque intitulé Cities and Cementeries of Etruria. Les écrits savants évoluent au cours du XIXe siècle autour de la question des origines de la civilisation étrusque. Cette dernière fait naître des débats animés dans les sociétés savantes. En effet, certains pensent que les Étrusques sont un peuple autochtone alors que d’autres préfèrent la thèse des origines lydiennes et anatoliennes. Les découvertes archéologiques conduisent à l’élaboration d’un premier classement chronologique des tombes en Étrurie. C’est Massimo Pallotino qui envisage, pour la première fois, l’étude de la civilisation dans sa globalité en s’intéressant à l’archéologie, la géographie, la linguistique, mais aussi à l’anthropologie. L’étruscologie devient alors une science à part entière qui prend en compte la civilisation étrusque dans toutes ses dimensions. Massimo Pallotino a donné un premier jet de ce qu‘est devenue l’étude de l’Étrurie au cours du XXe siècle. Les XVIIIe et XIXe siècles constituent, ainsi, un véritable tournant dans l’évolution de la manière de percevoir et d’appréhender l’art étrusque.


Bibliographie

  • F. Boitani, A. M. Moretti Sgubini (dir.), Étrusques : un hymne à la vie, catalogue d’exposition (Paris, Musée Maillol, 18 septembre 2013 – 9 février 2014), Paris, 2013.
  • R. Bloch, « Le XVIIIe Siècle et l’Étrurie », Latomus, 16, 1, 1957, p. 128–39.
  • J. Heurgon, « La découverte des Étrusques au début du XIXe siècle », Comptes rendus des séances de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 117, 4, 1973, p. 591-600.
  • A. Hus., Les Étrusques et leur destin, Paris, 1980.
  • J.-P. Thuillier, Les Étrusques : histoire d’un peuple, Paris, 2003.