La Tombe des Canards

La Tombe des Canards à Véies et le vase du Peintre de Narce. Auteur : Coraline Tatzky

La Tombe des Canards ou Tomba delle Anatre en italien fut découverte en 1958, en partie pillée. L’exploration de la tombe a été demandée par la Surintendance archéologique pour l’Étrurie Méridionale. La Tombe des Canards date de 680-670 avant J.-C, elle date de l’époque orientalisante qui correspond au VIIe siècle. La tombe est toujours conservée, elle est située à Véies dans la nécropole de Riserva del Bagno.

C’est une tombe hypogée de plan carré à chambre unique, avec un plafond à quatre pans de couleur jaune et rouge. Des dalles en pierre indiquent la limite d’une banquette sur la paroi de gauche, c’est sans doute là où était allongé le défunt avec son trousseau funéraire. La tombe des Canards mesure 3,10 m de longueur, 1,60 m de largeur et 2,30 m de hauteur. Une plinthe rouge occupe la moitié de la paroi, au-dessus prennent place des bandeaux polychromes de couleur noire, jaune et rouge. Sur la paroi du fond, on voit cinq oiseaux aquatiques disposés en frise passante se dirigeant vers la gauche.

Une partie du mobilier funéraire a été retrouvé en place et il est maintenant conservé au Musée National étrusque de la villa Giulia à Rome. Il est essentiellement composé de vases en céramique. On peut classer ces vases en deux catégories. D’abord, des vases issus de la technique locale étrusque, de couleur sombre : un canthare en bucchero, ainsi qu’une coupe, une amphore, un canthare et une petite olla en impasto. D’autres vases sont issus des techniques grecques, à pâte claire et peints : un kotyle d’importation corinthienne et des imitations  étrusques datées de 680-660 avant J.-C., de production étrusco-corinthienne. On trouve également trois ollae stamnoïdes étrusques dont une qui est presque entièrement conservée et a été attribuée au Peintre de Narce.

Urne cabane en bronze de Vulci, Musée national étrusque de Villa Giulia. Auteur du cliché Sailko.

 Sur sa panse figure une frise de chevaux passants au-dessus d’une frise d’oiseaux aquatiques renversés, tête en bas. On peut observer la rencontre entre répertoire décoratif grec et technique étrusque : la résille pointée entre les deux frises figurées est une interprétation étrusque du motif d’écailles typique des vases corinthiens. Les motifs zoomorphes s’inspirent des décors des vases eubéens de Pithécusses et Cumes, dont certains furent découverts dans des tombes orientalisantes de Véies. Le motif des oiseaux aquatiques rappelle également le motif hallstattien de la barque solaire emmenée par des oiseaux, que l’on retrouve fréquemment dans l’iconographie funéraire étrusque, en particulier sur le toit d’une urne cabane en bronze de Vulci. On remarque donc dans l’iconographie et la stylistique du vase une véritable acculturation entre la culture hallstattienne, grecque et étrusque.

Nous pouvons également faire des liens entre le thème de la peinture murale et l’olla stamnoïde du Peintre de Narce. Du point de vue stylistique, la peinture montre l’usage d’aplats et de traits pour réaliser les oiseaux, similaire aux techniques de la silhouette et du dessin au trait utilisées par les céramographes contemporains. Les cinq oiseaux ont des formes et positions similaires, avec un corps se terminant par une longue queue qui retombe vers le sol. Ils ont un long bec horizontal, leurs pattes sont systématiquement hachurées. Le premier à gauche est entièrement rempli de rouge avec hachures noires, le second est en contour rouge et un motif en dent de scie noir, le troisième a un remplissage bicolore (rouge et ailes noires), le quatrième a un contour rouge et un remplissage de résille noire et le cinquième a un remplissage rouge et un motif en dent-de-scie noir. Ce mélange de deux techniques de remplissage est présent également dans la production de Peintre de l’Heptacorde à Cerveteri.

Les oiseaux aquatiques ont une fonction funéraire à valeur eschatologique, car ils évoquent la mort et le passage d’une dimension à l’autre dans la religion étrusque. Ils symbolisent la légèreté de l’âme du défunt et l’envol de cette dernière vers l’au-delà. Ils peuvent également nous renseigner sur le conception de la mort chez les Étrusques.  Le même motif d’oiseaux se retrouve sur l’olla mais inversé : il symboliserait le monde des morts comme une autre dimension à celle du monde des vivants, symétrique et souterraine,  illustrant l’idée que la mort est une continuité « inversée » de la vie. Les murs de la tombe et le toit à quatre pentes sont recouverts de manière égale de pigments rouges et jaunes : cette parfaite bipartition suivrait aussi cette idée ; la partie inférieure rouge indiquerait la mort et l’au-delà et la partie supérieure jaune indiquerait le soleil et donc la vie terrestre.

Les oiseaux aquatiques accompagnent l’âme du défunt vers l’au-delà, ce sont donc des animaux qui ont une fonction psychopompe. Ce motif possède cette fonction dès la naissance de la peinture funéraire étrusque, comme l’atteste la Tombe des Lions Rugissants, toujours à Véies et antérieure seulement d’une génération à la Tombe des Canards.

Bibliographie

NASO Alessandro, The Origin of Tomb Painting in Etruria, in Ancient West and East, Academia, 2010. p. 69-76.

BROCATO Paolo, « Osservazioni sulla tomba delle Anatre a Veio e sulla più antica ideologia religiosa etrusca» dans OCNUS , Bologne, Ante Quem, 2008. p. 69-107.

#Etruscopri: il vaso con uccelli acquatici del Pittore di Narce : https://youtu.be/4IdZgWAhI_E