La Tombe Campana

Luigi Canina, mur du fond de la chambre principale de la tombe Campana (L’antica città di Veii descritta e dimostrata con i monumenti dal cav. Luigi Canina, 1847, planche 31)

La tombe porte le nom de celui qui, en 1843, la découvrit lors de fouilles effectuées sur le site étrusque de Véies. Le marquis Giampietro Campana (1809-1880) est principalement connu pour l’immense collection qu’il a amassée durant une grande partie de sa vie. Cette collection débuta avec un héritage de son père et de son grand-père, qu’il étoffa grâce à des fouilles archéologiques qu’il entreprit à Rome et en Étrurie et à de nombreux achats. Ce riche banquier était le directeur du Mont-de-Piété. Malgré cela, il contracta de lourdes dettes en cherchant à acquérir toujours plus d’œuvres, ce qui le mena, en 1858, à être condamné à l’exil. Pour ce qui est de sa collection, elle fut mise en vente en 1857 : une partie fut vendue à la Russie, une autre au British Museum et une dernière, la plus importante, à la France de Napoléon III.

Le marquis Campana commence, dès la fin des années 1830, à s’intéresser à Véies. C’est en février 1843 qu’il découvre une tombe peinte. Il s’agit, pour l’époque, de la plus ancienne tombe à chambre étrusque à décor peint et de la première de ce type découverte à Véies. Luigi Canina, un archéologue et architecte qui avait participé précédemment à des fouilles à Véies, est l’auteur des premières publications sur la tombe. Campana prétend que la tombe était totalement intacte, avec encore tout son mobilier funéraire, qu’il laisse volontairement en place, pour les visiteurs attirés par la nouvelle de la découverte.  L’inventeur de la tombe a en réalité composé et mis en scène le mobilier visible dans la tombe afin que sa découverte rivalise avec celles d’autres tombes étrusques célèbres, comme par exemple celle de la tombe Regolini Galassi (découverte en 1836). On y trouve des pithoi, amphores, canthares, chandeliers, olpés, des calices ou encore un cratère, issus de la collection de Campana et provenant essentiellement de Véies et Cerveteri. Francesco Roncalli, dans un article de 1979, a montré que les objets déposés dans la tombe sont soit faux, soit rapportés par Campana. Les urnes cinéraires en terre cuite surmontées d’un protomé féminin proviennent de la nécropole de San Bernardino à Orte, près de Viterbe, fouillée en 1839 par Campana.

Luigi Canina, le mobilier funéraire dans les deux chambres centrales (L’antica città di Veii descritta e dimostrata con i monumenti dal cav. Luigi Canina, 1847, planches 30 et 32)
Plan de la tombe publié par Luigi Canina (L’antica città di Veii descritta e dimostrata con i monumenti dal cav. Luigi Canina, 1847, planche 29)

           Du point de vue architectural, la tombe Campana est une tombe à chambre hypogée précédée d’un long et haut dromos d’accès taillé dans la roche, au fond duquel s’ouvrent trois portes. Son plan cruciforme comporte deux petites chambres latérales symétriques, munies d’une banquette de déposition, et deux chambres en enfilade. La première est la plus vaste, mesurant 3,85 x 4,45 x 2,40 m, couverte d’un toit à double pente et comportant deux banquettes. La deuxième est un peu plus petite : 2,60 x 3,46 x 2,15 m, et pourvue d’une banquette basse continue sur trois côtés. Deux sculptures de lions en pierre à fonction apotropaïque gardaient l’entrée du dromos et l’entrée à la chambre principale.

Les décors peints sont situés sur la paroi du fond de la chambre principale, autour du passage entre les deux pièces, et sur la paroi du fond de la seconde chambre. Les pigments ont été appliqués directement sur la roche, sans enduit à la chaux. Autour de la porte, des bandeaux et des frises de triangles sont colorés alternativement de rouge, de bleu et de jaune. Sur les murs, des motifs orientalisants sont superposés sur plusieurs registres, à la manière d’un décor de vase peint corinthien. On y voit des fleurs de lotus, des rinceaux stylisés, des cavaliers accompagnés de personnages à pied, des lions, des panthères, des chiens et une antilope, ainsi qu’une grande sphinge. Toutes les figures sont dirigées vers la porte centrale et sont remplies d’aplats colorés bleus, rouges et jaunes, ainsi que de motifs de points. La paroi du fond de la seconde chambre comportait un décor de boucliers peints stylisés.

Détail des peintures sur la paroi du fond de la chambre principale. Auteurs : Clémence Bouloizeau, Camille Repinçay, Éloïse Angot, Marie-Anne Étienne, Bérénice Bacquer, Coline Gabet.

La datation des peintures fait débat dès l’époque de leur découverte. Le marquis Campana affirme qu’elles sont contemporaines de la naissance de Rome, vers 750 avant J.-C., mais Luigi Canina va contre cet avis, la datant du Ve siècle avant J.-C. Vers 1860, Helbig montre qu’elles sont fortement influencées par les vases corinthiens et les date de la fin du VIIe s. av. J.-C. La fourchette de datation proposée aujourd’hui s’étend, selon les auteurs, entre 625 et 575 av. J.-C. Actuellement, les peintures sont toujours en place dans la tombe. Cependant, elles ont presque intégralement disparu, en raison de la technique employée et de l’absence de mesure de conservation après sa découverte. Les lieux restent visitables sur réservation.

        Dans un premier temps, le mobilier fut laissé par le marquis Campana sur place. Une partie fut pillée à ce moment-là. Puis, ce qu’il en restait fut transféré au château d’Agile avant d’arriver en 1901 au musée de la Villa Giulia. Aujourd’hui, une grande partie de ce mobilier est exposé au Museo dell’Agro Veientano à Formello. Le choix muséal mis en place à Formello s’inspire de l’architecture de la sépulture avec la reconstitution du dromos devant un cliché de Romualdo Moscioni, pour présenter les vitrines où est exposé le mobilier funéraire.

Amphore corinthienne d’après la gravure de Luigi Canina. Auteurs : Clémence Bouloizeau, Camille Repinçay, Éloïse Angot, Marie-Anne Étienne, Bérénice Bacquer, Coline Gabet.

D’après la gravure de Canina, les objets disposés par Campana dans la chambre funéraire du fond étaient disposés sur la banquette et comprenaient trois urnes, trois amphores, une hydrie, trois olpés, une oenochoé, un skyphos, un kyathos et plusieurs coupes. Au centre de la pièce se trouvait un brasero en bronze. Le vase que nous avons choisi de présenter est une grande amphore de production corinthienne (630-550 av. J.-C.), à col étroit et panse conique, au-dessus d’un pied évasé. Le décor figuré à figures noires occupant la panse se compose de plusieurs registres alternant motifs zoomorphes et phytomorphes. Il possède de nombreuses similitudes iconographiques et stylistiques avec les peintures de la tombe et montre les liens commerciaux et artistiques forts qui unissaient Corinthe à l’Étrurie méridionale, en particulier la cité de Véies.

La disposition symétrique des grandes amphores le long de la paroi du fond, l’alternance entre urnes, grands vases et petits vases, rappellent le type d’exposition qui était pratiqué dans les musées dans les années 1840 (au musée Grégorien étrusque du Vatican ou à la pinacothèque de Munich, par exemple). Ce détail montre bien qu’il s’agit d’une mise en scène de la part de Campana. La volonté première de Campana était de faire de sa découverte un événement sensationnel contribuant à sa propre renommée. Cette mise en scène de la part de l’archéologue montre l’intérêt de l’époque pour les beaux objets, le goût pour l’art étrusque, davantage que pour la recherche de contextes archéologiques authentiques.

Bibliographie

Gianpaolo Nadalini, « Le musée Campana : origine et formation des collections », dans L’anticomanie, Paris, 1992, p. 111-121

Iefe Van Kampen, « La tomba Campana e la sua scoperta », dans Il nuovo museo dell’agro veintano a palazzo Chigi di formello, Rome, 2012, p. 97-102.

Fausto Zevi et Mauro Cristofani, « La Tomba Campana di Veio. Il Corredo », dans Archeologia Classica, 17, 1965, p. 1-35.

Eline Verburg, « The Tomba Campana: a long-debated ‘discovery’. Considering the finds of a 19th-century excavation that never happened », dans KLEOS Amsterdam Bulletin of Ancient Studies and Archaeology, avril 2019, p. 44-62.