La production de vases est une des productions majeures des colonies grecques de Grande Grèce et de Sicile, et correspond au domaine artistique le mieux connu de l’Antiquité. Ces objets, produits en énormes quantités des premières fondations au VIIIe siècle av. J.-C. jusqu’à l’époque hellénistique, étaient utilisés quotidiennement par les populations grecques et non-grecques. Cela constituait une activité économique et artisanale essentielle dans les colonies grecques d’Occident.
Ces vases ont été découverts à partir du XVIe siècle lors de fouilles clandestines dans des nécropoles étrusques et campaniennes. À partir du XVIIe siècle, un intérêt croissant pour les antiquités s’est développé, attirant l’attention des collectionneurs et des amateurs d’art sur ces vases en raison de leurs qualités esthétiques. C’est ainsi qu’ils ont été intégrés dans des collections. Malheureusement, les circonstances exactes de leur découverte, leur provenance précise et leur association avec d’autres objets sont souvent mal documentées, ce qui a conduit à une occultation totale de leur contexte historique et archéologique. Ce n’est qu’à partir du XIXe siècle, avec l’avènement de l’archéologie en tant que discipline scientifique, que les vases ont commencé à être étudiés de manière systématique, principalement sur les plans stylistique et iconographique. À cette époque, de nombreuses collections privées de vases ont été transférées dans les musées européens, par le biais de dons, de legs ou d’achats.
L’étude des vases grecs d’Italie méridionale s’est enrichie ces dernières années grâce à l’adoption d’une approche pluridisciplinaire, combinant des méthodes issues de l’archéologie, de l’histoire de l’art, de la philologie et de l’anthropologie. Cette méthode permet une analyse plus complète des objets, en considérant leur contexte de découverte, leur utilisation et leur signification. Grâce aux recherches pluridisciplinaires, les vases grecs d’Italie méridionale ne sont plus de simples objets d’art mais de véritables témoins du passé. Ils nous renseignent sur les échanges culturels entre les Grecs et les populations locales, sur les croyances et les pratiques religieuses et funéraires, sur l’organisation sociale et la vie quotidienne. Si leur intérêt esthétique a longtemps prévalu, les recherches récentes ont permis de mieux comprendre leur contexte historique et leur importance en tant que vestiges archéologiques. Ces vases constituent des sources d’information précieuses pour l’étude des sociétés grecques occidentales et de leurs interactions avec les populations locales. Aujourd’hui, les études sur les vases italiotes tendent à être exhaustives, prenant en compte l’ensemble des données historiques, archéologiques, stylistiques et iconographiques, correspondant à quatre grands axes d’analyse : les lieux de production ; les processus de commande ; les processus de fabrication ; et la vie des vases.
Les lieux de production
Le processus de commande
Au cœur de la création de ces objets, le rôle du commanditaire est essentiel. Ce dernier choisit soigneusement la forme, l’iconographie et le style afin de les utiliser dans un contexte particulier. Chaque élément est minutieusement sélectionné pour véhiculer un message précis et répondre à un besoin spécifique.
La forme du vase est, en effet, importante pour comprendre sa fonction et sa signification dans son contexte de découverte. La forme révèle ainsi l’usage initial de l’objet et fournit des indices sur son rôle dans les pratiques quotidiennes ou rituelles de l’époque. L’iconographie, quant à elle, constitue un véritable langage visuel. Les motifs, les symboles et les représentations figuratives transmettent des messages, accessibles uniquement aux initiés. Ils peuvent évoquer des mythes, des croyances religieuses, des événements historiques ou des aspirations sociales. Le commanditaire choisit judicieusement ces éléments iconographiques pour exprimer son identité, son statut ou ses valeurs. Enfin, le style de l’objet reflète les courants artistiques et les techniques de fabrication en vigueur à une période donnée.
En somme, chaque aspect de ces objets – forme, iconographie et style – est soigneusement choisi par le commanditaire pour répondre à des besoins spécifiques et transmettre des messages. Leur étude approfondie permet non seulement de mieux comprendre les pratiques et les croyances des civilisations anciennes, mais aussi d’appréhender la valeur et la signification particulières que ces objets revêtaient dans leurs contextes d’utilisation.
Le processus de fabrication
La production de vases figurés italiotes, s’étendant de l’époque géométrique à l’époque classique (900-323 av. J-C), a progressivement évolué en techniques et complexité pour représenter principalement la figure humaine, tout en restant une production d’élite minoritaire par rapport à la céramique utilitaire plus répandue.
La Campanie
La région campanienne est une zone vaste et riche offrant, au large du golfe de Naples, un emplacement de choix sur la mer Tyrrhénienne. Elle s’est vu accueillir plusieurs cités ayant joué un rôle majeur dans la production céramique italiote. L’épanouissement de ces productions participe à accentuer leur développement ainsi qu’à leur large diffusion. Tout d’abord à Pithécusses, la production s’étend uniquement sur la période géométrique puis orientalisante. À Cumes, cette dernière n’est pas continue, après l’époque géométrique et orientalisante l’activité diminue pour ne reprendre qu’à la période classique. Enfin, à Capoue, il n’existe qu’une production à l’époque classique. Les différents sites de productions offrent, par leurs caractéristiques stylistiques et formelles, mais également par l’étude des peintres et de leurs ateliers, la compréhension et la lecture des vases italiotes tout au long des périodes.
Des artistes sicéliotes arrivent à Paestum au cours du premier quart du IVe siècle av. J.-C. et y lancent une production de vases à figures rouges. Cette production peut être divisée en trois phases : les précurseurs sicéliotes, puis l’atelier d’Astéas et Python et enfin leurs successeurs. Ces vases se caractérisent par l’usage de cadrages à palmettes et volutes et une forte polychromie puis par une abondance de motifs ornementaux. La dernière période est marquée par une stylisation et simplification des formes et des personnages.
La Lucanie
La production de vases à Métaponte, dont les ateliers étaient implantés dans le Keirameikos, près de l’agora, et sur la colline de l’Incoronata, s’est développée de manière significative de l’époque orientalisante à la période classique. Au VIIe siècle av. J.-C., durant la phase orientalisante, Métaponte a vu l’émergence d’ateliers locaux produisant des vases influencés par le style grec oriental, tout en développant un style propre. Au VIe siècle av. J.-C., la production a continué à évoluer, intégrant progressivement des influences attiques et corinthiennes, reflétant ainsi les changements stylistiques de la période archaïque. Cette évolution s’est poursuivie jusqu’à la période classique, avec une production locale qui s’est adaptée aux nouvelles tendances artistiques et de la clientèle, tout en conservant certaines particularités régionales.
La production de vases à Siris-Héraclée, située dans l’actuelle Policoro, s’est développée en deux phases, distinguées par les deux cités implantées sur le même site. Initialement, dès sa fondation, Siris a connu une production céramique influencée par les traditions de Grèce de l’Est. Après la destruction de Siris et la fondation d’Héraclée sur son site vers 432 av. J.-C., une nouvelle phase de production a débuté, utilisant la technique des figures rouges. Cette production locale est principalement associée au Peintre de Policoro, dont les œuvres ont été découvertes lors de fouilles archéologiques dans la région.
L’Apulie
La production de vases italiotes en Apulie, principalement centrée à Tarente, s’est développée de l’époque géométrique à l’époque classique, connaissant plusieurs phases d’évolution stylistique et technique. À l’époque orientalisante, la production était relativement limitée et influencée par les styles de Grèce de l’Est. Durant l’époque archaïque, la production a d’abord été influencée par le style corinthien, puis par le style attique. L’apogée de la production apulienne s’est manifestée à l’époque classique avec le développement des vases à figures rouges, faisant de l’Apulie le centre le plus productif en Italie du Sud. Initialement, durant la phase de l’Apulien ancien, les ateliers étaient concentrés à Tarente. Cependant, à partir de l’Apulien récent (vers 370 av. J.-C.), des peintres et ateliers formés à Tarente se sont établis dans d’autres villes d’Apulie, notamment en Daunie et en Peucétie, comme Canosa, Ruvo et Arpi.
La Calabre
La Calabre ne compte que peu de centres de production céramique connus. Les trois principaux centres de production céramique identifiés en Calabre sont Rhégion, Crotone et Locres.
La production de vases à Rhégion, colonie eubéenne sur le détroit de Messine, s’est développée à l’époque archaïque sous le nom de céramique chalcidienne. Caractérisée par un style éclectique et une qualité comparable aux productions attiques, elle a été diffusée jusqu’en Étrurie. La concentration de ces vases en Italie du Sud et la présence d’inscriptions en écriture chalcidienne ont permis d’attribuer cette production à des ateliers de Rhégion.
La production céramique de Crotone illustre l’influence prépondérante de Corinthe sur les colonies grecques d’Occident. Bien que les artisans crotoniens aient démontré une certaine habileté technique, leur production est restée largement ancrée dans l’imitation des modèles corinthiens, sans parvenir à développer un style véritablement distinctif. La production s’est progressivement épuisée, se limitant à des vases non décorés ou à décor simple à partir du VIe siècle av. J.-C.
La production céramique à Locres en Calabre a connu son apogée aux époques classique et hellénistique. Au début du IVe siècle av. J.-C., un groupe d’artisans originaires de Sicile s’est établi dans la cité, donnant naissance au Groupe de Locres. Ce groupe, centré autour d’un artiste principal connu sous le nom de Peintre de Locres, a développé un style distinctif, influencé à la fois par les traditions siciliotes et attiques, ce qui a contribué à créer une identité artistique propre à la région de Locres.
La Sicile
La production de vases sicéliotes s’organise sur tout le territoire de la Sicile, de l’époque géométrique à l’époque classique, sous l’impulsion de certaines cités comme Lipari, Mégara Hyblaea, Gela, Naxos ou Zancle. La culture sicéliote bénéficie de sa situation géographique entre l’Orient et l’Occident et témoigne des influences grecques et sicules. Elle effectue des échanges commerciaux et artistiques avec ces deux zones et la fondation de cités par des colonies grecques atteste de sa position stratégique.
La vie des vases
L’étude de la typologie et de l’iconographie des vases révèlent des aspects des civilisations en Italie du VIIIe au IVe siècle av. J.-C. Ces vases sont témoins de modes de productions, de courants d’échanges, de pratiques culturelles, cultuelles et funéraires. L’étude des contextes d’utilisation des vases vise à démontrer que les vases sont des objets complexes en raison des transformations de leur fonction première lorsqu’ils changent de destination. En conséquence, ces vases acquièrent une nouvelle fonction et une nouvelle signification.
La vie de ces vases est également importante après leur découverte, qui marque pour eux une nouvelle vie. C’est pour cela qu’il faut comprendre les méthodes utilisées pour découvrir ces objets.
La majorité des vases ont été mis au jour entre le XVIe siècle et le début du XXe siècle. Après leur découverte, ces objets ont généralement intégré des collections privées ou ont été vendus sur le marché antiquaire. Par la suite, ils ont trouvé leur place dans des musées internationaux, acquis par le biais d’achats, de dons, ou de legs.
Direction scientifique du projet : Flore Lerosier.
Les notices ont été rédigées par les étudiants de L3 Histoire de l’art 2023-2024 : Alice Aubert-Geoffroy, Lorine Bermon, Axelle Bertin–Choisel, Mathis Bonhomme, Laureen Bonneau, Nesrine Boukrif, Élisa Broca, Juliette Budor, Tatiana Cadorel, Romane Charpentier, Naïm Cornalba, Mélody David, Noryane Deslandes, Marine Dworak, Léa Emery, Manon Goubin, Alice Gourault, Érinne Guerit, Lou Guidou, Mathilde Jaconelli, Aurine Laville, Justine Ledeuil, Enzo Lunaud, Amandine Martin, Maëva Menoux, Anaïs Moret, Maëva Pinot, Joséphine Pissavy-Yvernault, Lucie Ripault, Marine Samson, Eliott Temple, Camille Thurier, Danaé Weiland.