Contexte d’utilisation des vases

Les fouilles archéologiques ont permis d’en savoir davantage sur la production de la céramique italiote. Effectivement, ces fouilles ont permis de découvrir un nombre considérables de vases figurés qui composent un très riche répertoire iconographique. La découverte de ces vases, produits dans divers ateliers d’Italie méridionale du VIIIe au IVe siècle av. J.-C., est d’une importance majeure puisqu’elle permet de documenter leur contexte d’utilisation, autant pour la population italiote qu’italique.

Les vases sont utilisés à différentes fins, et leur forme est connue en conséquence. Leurs typologies sont un premier indicateur pour identifier leur usage d’origine, essentiellement lié au service et la consommation du vin. Toutefois, il faut prendre en considération également l’iconographie qui l’accompagne pour comprendre totalement l’essence même de l’objet. Leur fonction originelle est destinée, dans un premier temps, au quotidien de ces populations, en tant qu’objets de la vie courante. On compte cinq fonctions de vases dans le répertoire vasculaire italiote : 

Premièrement, les vases pour transporter et conserver sont la péliké, l’amphore, l’hydrie, la loutrophore, la nestoris, le pithos et l’olla. Ce sont des vases de grandes dimensions couramment utilisés pour le transport de vin, d’huile et de denrées. Le pithos et l’olla sont des vases pour cuisiner les denrées. Ils servent par exemple de réservoir d’eau où ils sont placés dans les sous-sols des habitations. L’olla est un vase arrondi de grande dimension. Ces vases s’inscrivent également dans un contexte funéraire. 

Les vases pour mélanger le vin et l’eau sont le dinos, le stamnos, et les différents types de cratères. Ce sont des vases ouverts de très grandes dimensions qui sont utilisés à l’occasion du symposion au cours d’un banquet ou un festin consacré à boire ensemble, où se déroulent des jeux, de la musique et des danses réservés uniquement à l’aristocratie.       

Il existe aussi des vases destinés à puiser et à verser dans le cadre du symposion : l’oenochoé, le lagynos, l’olpé, le kyathos, ou encore l’askos. Ces vases ont comme principale fonction de puiser le vin dans le cratère pour le verser ensuite dans les vases à boire. 

Les kylikes, les canthares, les coupes ou les skyphoï et le rhyton sont utilisés pour boire le vin. Par leur forme particulière, ils permettent au banqueteur de boire demi-allongé sur des klinaï lors du banquet. Comptant parmi ces vases à boire aussi utiles lors des cérémonies de consommation du vin la phiale et la patère qui peuvent servir à des libations en contexte domestique, sacré et funéraire.

Parallèlement, il existe toute une série de petits vases à parfums tels que les lécythes, l’alabastre ou encore l’aryballe. Ce sont des vases fermés que l’on reconnaît par leur embouchure étroite. Ces vases sont destinés à contenir diverses huiles parfumées. À l’origine, ils sont utilisés lors de la toilette ou de la palestre. Ces petits vases à parfums sont également placés dans les tombes ou peuvent être disposés dans un sanctuaire comme offrandes. 

 Afin de déterminer l’usage qui était fait d’un vase, il faut nécessairement se tourner vers le contexte archéologique de découverte de celui-ci. Certains vases acquièrent un changement de signification et de fonctionnement  au cours de leur vie et de leur utilisation. Cela entraîne une transformation de leur usage. Pour appréhender ces mutations, il est primordial d’analyser les images qui illustrent le vase en question ainsi que son contexte de découverte. Ces deux indicateurs sont importants pour cerner sa nouvelle fonction. À travers un parcours analytique de la céramique italiote produite entre les VIIIe et IVe siècles av. J.-C., nous verrons les différents contextes d’utilisation que sont le contexte funéraire, le contexte cultuel et le contexte domestique. Il s’agira de démontrer que le contexte archéologique et l’iconographie ont un impact direct sur l’utilisation du vase. 

Contexte funéraire

Reconstitution de l’hypogée du vase des Perses à Canosa, Sud de la Daunie, d’après le dessin de Gerhard 1857, Camille Thurier
Reconstitution de l’hypogée du vase des Perses à Canosa, au sud de la Daunie, d’après le dessin de Gerhard 1857 (élab. Camille Thurier)

L’essentiel des vases proviennent bien sûr de tombes, offrant ainsi un état de conservation remarquable et sont donc surreprésentés. Un exemple particulièrement pertinent est la tombe du vase des Perses à Canosa, en Daunie, découverte en 1851. La tombe est composée de deux chambres remplies d’un riche mobilier. Dans cette tombe y est déposée une multitude de vases qui figurent une iconographie riche de traditions religieuses, politiques et militaires. D’après la description retranscrite par C. Bonucci, le défunt a été retrouvé dans la première chambre vêtu de sa panoplie militaire. Cette chambre abritait des vases à figures rouges : trois amphores, une œnochoé, un canthare, un cratère à volutes et une loutrophore. Une deuxième chambre consacrée à ses butins issus de victoires en Asie était remplie d’armes et de vases renvoyant à la figure du défunt : une cuirasse anatomique de bronze, deux lances, un casque à cimier de type apulo-corinthien, une hache, un cratère à volutes et une amphore. La tombe et son mobilier correspondent à la sépulture d’un guerrier. La correspondance archéologique établie par C. Bonucci signale que les objets “ont été disposés à l’endroit où ils ont été retrouvés” (Pouzadoux 2013, p. 79.) et révèle une idée approximative de l’emplacement original de ces vases. Parmi tous ces vases étaient compris cinq exceptionnels exemplaires attribués au de Peintre de Darius dont le cratère à volutes des Funérailles de Patrocle réalisé vers 330 av. J.-C. Ce cratère est actuellement conservé au Musée archéologique national de Naples. 

Le cratère à volutes attribué au Peintre de Darius est un vase exceptionnel par sa taille, mesurant plus d’un mètre trente de hauteur, et par son sujet iconographique unique. La typologie de ce vase est destinée au mélange du vin à l’occasion du symposion réservé à l’aristocratie. Sa dimension spectaculaire indique qu’il a été réalisé pour un membre de l’élite canosine. L’image est  importante pour son analyse car elle est directement liée avec son support. Effectivement, le rôle de l’image est important pour ce qu’elle témoigne du statut du défunt. L’iconographie représente des scènes jamais illustrées auparavant, les Funérailles de Patrocle tel que l’indiquent des inscriptions. Le peintre développe ici une iconographie funéraire prestigieuse et guerrière en introduisant plusieurs mythes inspirés des poèmes épiques. 

En étant placé dans un contexte funéraire, ce vase monumental est donc détourné de sa fonction première. Il devient alors un véritable monument illustré par une iconographie funéraire triomphante. Cet objet témoigne des modes de vie de l’aristocratie italique. Il manifeste les pratiques funéraires de la seconde moitié du IVe siècle av. J.-C. Par conséquent, il illustre une tradition princière daunienne qui remonte au VIIe siècle av. J.-C. consistant à la monumentalisation de vases et d’objets qui renvoient à l’identité du défunt et vise à lui rendre un hommage élogieux. Ainsi, le contexte archéologique et l’iconographie bouleversent la fonction première du vase et transforme son usage d’origine en une utilisation funéraire.

Contexte cultuel

Nous connaissons des vases retrouvés en contexte sacré qui permettent d’éclairer l’usage et la fonction de ceux-ci dans le cadre de la religion. Dans le sanctuaire de Siris, l’actuelle Policoro, les archéologues ont retrouvé par exemple une amphore à figures noires datant du VIe siècle av. J.-C. et aujourd’hui conservé au Musée archéologique national de la Siritide (Denoyelle, Iozzo 2009, p. 74.). Il semblerait que ce vase fut un ex-voto offert à la divinité à laquelle le temple était dédiée, Déméter Agathè Tychè, afin de s’attirer ses faveurs. Il s’agit d’une amphore au profil continu, semblable à une olpé d’un point de vue formel. Sa métope, l’espace qui contraint l’image, est étiré jusqu’au col et figure une sphinge d’inspiration ionienne. En effet, les habitants de Siris étaient d’origine gréco-orientale puisque leur métropole était la cité de Colophon.

Fig. 2, Reconstitution de la découverte du skyphos, Mathis Bonhomme.
Reconstitution de la découverte du skyphos (élab. Mathis Bonhomme).

Il n’existe pas seulement des vases à fonction votive dans un sanctuaire. À Métaponte, au sanctuaire de Biagio alla Venella ont été découverts les fragments d’un perirrhanterion conservés au musée archéologique national de Métaponte (Denoyelle, Iozzo 2009, p. 75). Cette typologie de vase sur pied, produite entre le VIIIe et le VIIe siècle av. J.-C., présente un large bassin circulaire prévu pour recevoir de l’eau. Dans celui-ci se pratiquaient les ablutions rituelles nécessaires et préalables à l’exercice des rites cérémoniels en l’honneur de la divinité, comme des sacrifices ou des libations. Les fragments retrouvés permettent d’identifier un décor figuré en relief avec une frise d’animaux passants et une scène de hiérogamie, c’est-à-dire d’union entre deux divinités.

Ainsi accède-t-on par les sanctuaires à un contexte d’utilisation original et toutefois varié des vases. De la petite amphore au grand perirrhanterion, les données archéologiques nous permettent de comprendre les gestes rituels et d’approcher le sacré.

Contexte domestique

De récents travaux de recherche ont permis de mettre en lumière un contexte d’utilisation encore méconnu, celui du cadre domestique. La thèse de Marco Serino, notamment, explore les données archéologiques issues des fouilles de la cité d’Himère, détruite par les Carthaginois en 409 av. J.-C. (Serino 2019). Cet évènement a permis la conservation, sous une couche stratigraphique de cendre et de débris, d’un ensemble de vases plus ou moins fragmentaires sur les lieux mêmes de leurs usages quotidiens, c’est-à-dire les rues, les ateliers, les maisons, etc. 

Nous prendrons ici le cas exceptionnel d’un cratère en calice à figure rouge qui fit l’objet d’une étude de la part de Giovanni Polizzi (Polizzi 2021, p. 19-42). Il daterait du troisième quart du Ve siècle av. J-C. et a été retrouvé dans une pièce identifiée comme l’andron d’une maison d’Himère grâce à l’association de 487 vases retrouvés là et identifiés malgré leur état fragmentaire. Parmi eux se trouvent des vases à boire, 42 skyphoï ou 206 coupes par exemple, mais aussi des vases à verser comme des œnochoai. Un ensemble de vase clairement utilisé pour leur fonction première de service du vin. La découverte d’une quinzaine de lampes semble bien indiquer l’activité nocturne des lieux et donc la vocation à y pratiquer le symposion. L’état fragmentaire du cratère ne permet de distinguer que deux images sur son col : une scène de rapt et une scène de libation par Niké sur un autel rustique. Cette iconographie renverrait aux rites préliminaires du mariage dans le monde grec et ferait hypothétiquement de cet objet une commande artistique à l’occasion d’une alliance aristocratique selon l’interprétation de G. Polizzi. Son usage, bien que quotidien et liée au service du vin, a pu être sacral en vertu des cérémonies privées du mariage au sein même de la maison. Ici encore, les données archéologiques et l’analyse iconographique permettent une approche anthropologique qui met en lumière la confusion entre les utilisations domestique et sacrale de la céramique sicéliote, dans ce cas précis. 

La présence de vases de stockage tels que des pithoï et des amphores, voire l’absence de kliné dans cette pièce pourtant réservée au banquet, comme dans d’autres maisons d’Himère, nous renseigne également sur le bouleversement des pratiques quotidiennes liées à l’utilisation des vases et de la fonction habituelle de la pièce en condition de siège de la ville par les Carthaginois.


Bibliographie

  • E. Degl’Innocenti, A. Consonni, L. Di Franco (dir.), Mitomania. Storie ritrovate di uomini ed eroi , Rome, 2019.
  • M. Denoyelle, M. Iozzo, La céramique grecque d’Italie méridionale et de Sicile. Productions coloniales et apparentées du VIIIe au IIIe siècle av. J.-C., Paris, 2009.
  • P. Giacco, La collezione Magna Grecia. Museo archeologico nazionale di Napoli, Naples-Milan, 2019.
  • M. Lista, M. Denoyelle, L. Chazalon, Vasi antichi. Museo archeologico nazionale di Napoli, Naples, 2009.
  • M.-Ch. Villanueva-Puig, ‹ Le Vase des Perses. Naples 3253 (inv. 81947) ›, Revue des Études Anciennes, 91, 1-2, 1989, p. 277-298.
  • G. Polizzi, ‹ Un cratère figuré en contexte domestique : l’andron de la maison I nord de l’îlot XII à Himère. Caractéristiques et contexte de référence ›, Pallas, 116, 2021, p. 19-42.
  • Cl. Pouzadoux, Éloge d’un prince daunien. Mythes et images en Italie méridionale au IVe siècle av. J.-C., Rome, 2013.
  • M. Serino, La bottega del Pittore di Himera e le altre officine protosiceliote. Stile, iconografia, contesti, cronologia, Rome, 2019.
  • A. D. Trendall, Red Figure Vases of South Italy and Sicily. A Handbook, Londres, 1992.
  • A. D. Trendall, A. Cambitoglou, Second Supplement to The Red-figured Vases of Apulia, Londres, 1991-1992.