Urne cinéraire étrusque

    Propriétaire : Ville de Bourges
    Détenteurs précédents : Giampietro Campana, Musée du Louvre
    Numéro d’inventaire : 2006.7.45
    Numéro de collection : 46 (numéro d’envoi en 1863 de la collection Campana)
    Ancien numéro de dépositaire : D.1863.1.49
    Lieu de conservation : Musée du Berry, Bourges

    Caractéristiques matérielles et techniques

    Dimensions :
    Cuve : Lo : 34,4 cm (haut), 33,9 cm (bas) ; La : 17,4 cm (haut), 15,9 cm (bas) ; H : 22 cm
    Couvercle : Lo : 33,6 cm (dos), 33,1 cm (face) ; La : 18,4 cm (pieds), 19,5 cm (tête) ; H : 12,5 cm
    Épaisseur des parois : 2,7 cm en moyenne
    Matériau : Terre cuite orangée, traces de peinture blanche et noire
    Technique : Modelage et moulage pour les reliefs, peinture
    État : Bon état général, usure du décor, éclats à la base, empoussièrement fort. Restauration au niveau de la tête de la gisante.
    Marquage : absent

    Typologie

    Date de création/fabrication : période hellénistique récente (IIe siècle avant J.-C.)
    Style : hellénistique
    Fabrication : Chiusi
    Provenance : Chiusi

    © M. du Louvre. Bureau du récolement des dépôts des trois départements antiques et du département des arts de l’Islam

    Introduction

    En 1863, l’urne cinéraire étrusque est déposée au Musée départemental d’Antiquités, d’Histoire naturelle et des Arts de Bourges (aujourd’hui Musée du Berry). L’œuvre appartient à la collection Campana, dont le musée reçoit en dépôt au total cinquante-deux objets en tant que deuxième classe. Elle est dans un premier temps conservée dans une salle de l’Hôtel-de-Ville avec d’autres collections d’époques variées. Mais en 1891, lors du déménagement du musée à son emplacement actuel à l’Hôtel Cujas, elle est transférée dans les réserves, où elle se trouve toujours. Cette typologie d’urne cinéraire fut majoritairement retrouvée dans les nécropoles autour de Chiusi. Par conséquent, il est probable que l’urne du musée du Berry en soit originaire. Son usage est réservé à la conservation des cendres d’un défunt ou d’une défunte en tant que monument funéraire. Les décors et la série dans laquelle elle s’inscrit démontrent qu’elle date de l’époque hellénistique.

    Description

    L’urne se compose d’une cuve trapézoïdale à base rectangulaire et d’un couvercle anthropomorphe. Le matériau employé est de la terre cuite orangée moulée. La façade de la cuve présente un bas-relief s’étendant sur la quasi-totalité de sa longueur et de sa hauteur. Son encadrement est simple à angle droit, des éléments iconographiques peuvent en déborder. Le bas-relief représente une scène de combat mettant en scène quatre personnages masculins. Au centre, un guerrier attaque un autre homme à gauche avec un araire qu’il brandit à deux mains, et dont l’extrémité dépasse de l’encadrement. Il est de dos et regarde sa victime. Ses uniques vêtements sont un drapé enroulé à la taille et un chapeau à larges bords dépassant lui aussi du cadre. Son ennemi se fait attaquer au niveau du cou. Il est de face, regarde son agresseur et est à demi agenouillé. Il brandit de sa main droite une épée à la verticale et se protège avec un bouclier de sa main gauche. Il porte une tunique sous une cuirasse. Dans le plan derrière lui, se situe un autre guerrier de trois-quarts face, en train d’avancer vers la droite. Il tient une épée de sa main droite et un bouclier de sa main gauche. Il est nu à l’exception d’un casque corinthien dépassant de l’encadrement, et d’une chlamyde attachée par une agrafe sur sa poitrine. Sur le même plan et occupant toute la partie droite se trouve le dernier personnage. Il se dirige vers la droite, mais regarde le combat en tournant la tête. Il lève le bras droit au niveau de son front. Son corps est en grande partie caché par le bouclier qu’il brandit de la main gauche. Il porte une tunique sous une cuirasse, un chapeau à larges bords et une chlamyde. Tous les personnages sont représentés sur la même ligne brisée de l’encadrement inférieur. Les parois latérales et arrière de la cuve sont nues et polies. Le couvercle représente une gisante allongée sur une dalle vers la droite. Sa tête est tournée vers l’avant et repose sur deux coussins. En dehors de son visage, tout son corps est recouvert d’unn manteau. La gisante est tournée vers l’avant et couchée sur le côté. Elle a les jambes repliées et sa main droite est posée sur les coussins. Ses cheveux sont coiffés en chignon.

    Analyse stylistique

    Cette urne cinéraire étrusque fait partie d’une vaste production d’époque hellénistique comportant de nombreuses autres œuvres semblables. Trois types de matériaux sont employés pour les réaliser : l’albâtre, la pierre et la terre cuite. Ce dernier matériau est le plus fréquent, grâce à la réutilisation d’un même moule pour plusieurs œuvres. Les Cataloghi del Museo Campana (Campana 1858, p. 324-326) énumèrent des dizaines d’urnes en terre cuite similaires dans la collection. En 1916, Gustav Körte en comptait plus de 120 (KÖRTE 1916, p. 5-16), majoritairement dans les musées de Chiusi, Volterra et Palerme (où est conservée la collection Casuccini, constituée d’objets découverts dans la région de Chiusi). À l’heure actuelle, leur nombre est estimé entre 300 et 400. Cette série se distingue en deux groupes caractérisés par une différence dans la longueur des urnes ; une petite de 25 à 30 cm, et une grande de 32 à 35 cm. Cette dernière catégorie regroupe le plus grand nombre d’urnes. Celle de Bourges mesure 34 cm de longueur, ce qui fait d’elle l’une des plus grande documentées. Au musée des Beaux-Arts et d’Archéologie de Besançon se trouve une cuve d’urne de petites dimensions (inv. 864.1.87) : 17 cm en hauteur, 26,7 cm en longueur et 13,3 cm en largeur. Contrairement à celle de Bourges – et aux grandes urnes de manière générale – la qualité de représentation de son relief est moindre. L’urne cinéraire du musée du Berry fut assemblée avant la cuisson. Les deux trous d’évents : l’un sous le coussin, l’autre sur le côté droit de la gisante au niveau de la ceinture, peuvent en témoigner. Les différents modèles d’assemblage relevés sur l’ensemble de la production connue supposent l’existence de plusieurs ateliers à Chiusi.

    Deux typologies de couvercles anthropomorphes sont attribuées à ces urnes. La première représente un gisant en tant que banqueteur, tel que celui du Getty Museum (inv. 71.AD.293.2). Le second représente un gisant dormant, tel que celui de Bourges. Néanmoins, plusieurs éléments laissent envisager que le couvercle n’appartient pas originellement à la cuve. Tout d’abord, les grandes urnes possèdent généralement des couvercles du premier type. De plus, il est en moyenne un centimètre plus grand en longueur et largeur, – ou de la même taille – que la cuve. Or, l’urne de Bourges a un couvercle plus petit d’un centimètre. Il est en effet fréquent que cuves et couvercles soient mélangés : à cause d’erreurs dans les fonds muséaux, ou à cause de pilleurs bouleversant l’assemblage originel dans les tombes. De manière générale, les gisants dormants ont quasiment la même orientation vers la gauche sur toutes les urnes. De même, leur position présente leurs jambes repliées vers l’arrière, une inclinaison du corps légèrement sur le côté gauche, et la tête de trois-quarts vers la gauche. Mais il existe certaines variations. La main gauche peut être par exemple sortie du manteau ou rester cachée. Certaines urnes présentent aussi un pied dépassant, ou un seul coussin pour la tête. L’urne de Bourges possède une de ces variations avec le chignon de la gisante. Les parties latérales des cuves sont de deux types ; rectangulaires ou trapézoïdales. L’urne du musée du Berry est trapézoïdale. Cette forme suppose l’inclinaison d’un pan – avant ou arrière – de l’urne, n’impliquant pas la position du relief. Dans le cas de l’urne de Chartres, c’est le pan arrière qui est incliné. En dehors du relief, les œuvres de la série présentent toujours une cuve similaire à celle du musée du Berry. Mais contrairement à cette dernière, une urne du Louvre (inv. ED 1929.1) présente des traces de polychromie ainsi qu’une épitaphe. En effet, la majorité des œuvres de la série ont été peintes. D’abord avec de la peinture blanche pour l’ensemble, puis avec du noir, jaune, rouge, vert, bleu, et même du rose pour le relief. Malheureusement, l’absence de travaux de restauration de l’urne du musée du Berry ne permet pas de constater d’éventuelles traces polychromiques. Le thème iconographique fut estampé en série. Cette technique implique la réutilisation de moules ce qui peut impacter la qualité. Les urnes les plus récentes, datant de la fin du IIe siècle ou du début du Ier siècle av. J.-C., sont de plus mauvaise qualité. Le musée Dobrée de Nantes en témoigne avec une urne du quatrième quart du IIe siècle (inv. D 863.1.7.1 pour la cuve ; inv. D 863.1.7.2 pour le couvercle). Au vu de la qualité de réalisation de l’urne de Bourges, il est possible de lui attribuer une datation dans la première moitié du IIe siècle.

    Analyse iconographique

    L’urne du musée Berry présente sur la face avant de sa cuve le combat du héros à l’araire. Des incertitudes persistent quant à son identité et celle de ses ennemis. Une première hypothèse, soutenue par Johann Joachim Winckelmann au XVIIIe siècle, émet que le héros est Échétlos. L’archéologue fait le lien avec une description de Pausanias sur une peinture disparue du pœcile d’Athènes. Elle représentait la bataille de Marathon confrontant les Grecs aux Perses. Un combattant attique, semblable à un paysan du nom d’Échétlos, y aurait vaincu tous les Perses avec un soc de charrue. Or, cette hypothèse fut remise en cause en raison des armures grecques des ennemis. En 1829, Emil Braun associe le héros à Charun – ou à l’un de ses démons – (Braun 1829, p. 264). Selon son hypothèse, il est en train de prendre possession de l’ennemi à terre. C’est en raison de l’arme employée par le guerrier, – très semblable au maillet de Charun – que cette identification se fait. De plus, certaines urnes illustrent une Furie à gauche dans le relief. Néanmoins, Gustav Körte rejette cette hypothèse (Körte 1916, p. 5-16). Il s’accorde avec Robert Smend sur le rapprochement de l’iconographie avec un récit de la Bible hébraïque (Livre des Juges, 3-31) mettant en scène le combat de Samgar. En 1985, Françoise-Hélène Massa-Pairault propose une nouvelle interprétation (Massa-Pairault 1985, p. 229-237). Selon elle, l’iconographie de ces urnes présente la légende de Codros, roi d’Athènes se sacrifiant face aux Thraces en réponse à une prophétie. Cette hypothèse semble être cohérente selon le récit de Lycurgue rapporté par Plutarque. En effet, le roi se serait lancé dans le combat avec juste un vêtement enroulé autour de ses reins, et doté d’une arme agricole. Toutefois, Ilaria Domenici offre un nouveau point de vue en 2009 (Domenici 2009), que Françoise-Hélène Massa-Pairault valide en 2018 (Massa-Pairault 2018, p.385-386). La conclusion en est que le héros est bel et bien Échétlos, mais combattant des Macédoniens pour l’Attique. Cette série d’urnes présenterait un relief propagandiste à mettre en lien avec la seconde Guerre macédonienne. Elle reprend le héros Échétlos, mais l’assimile à Attale Ier, roi de Pergame combattant les Macédoniens entre le IIIe et le IIe siècle av. J.-C..

    Analyse contextuelle

    L’analyse iconographique révèle que cette urne s’inscrit dans la période hellénistique au vu de son influence grecque. La thématique principale du sujet semble être la défense territoriale face à un ennemi. Il est possible de l’associer aux luttes sociales du IIIe siècle av. J.-C. des cités étrusques. Elles signent peu à peu le déclin de l’indépendance de l’Étrurie face à expansion romaine. Le relief de l’urne peut également être associé à une fabula honorant une divinité guerrière. La série des urnes de l’homme à l’araire est semblable à celle du duel thébain. Cette dernière représente le fratricide entre Étéocle et Polynice. Les deux séries proviennent des nécropoles de Chiusi, certainement d’un même atelier. La production en série de la même urne en terre cuite offre l’accessibilité du monument cinéraire à une large clientèle. Les urnes du début du IIe siècle sont de plus hautes qualités que celles de la fin du siècle. Elles permettent de constater une démocratisation de l’œuvre auprès des classes moyennes. La production de ces œuvres se limite au IIe et au début du Ier siècle. La collection Campana regroupe un grand nombre de ces urnes pour lesquelles le marquis nourrissait un intérêt non pas esthétique mais historique (Cornu 2013, p. 91). L’analyse de cette abondante série permet d’observer l’évolution à la fois sociale et culturelle des Étrusques au cours de cette période.

    Conclusion

    L’urne du musée de Bourges s’inscrit parmi les premières œuvres de la série. Elle est grande et de bonne qualité. Il est néanmoins probable que le couvercle n’appartienne pas originellement à la cuve. L’ajout du chignon à l’arrière du crâne de la gisante lui offre une part d’originalité. Toutefois, cette caractéristique n’est pas un unicum, mais contribue à l’isoler du reste de la série. C’est la prise en compte de l’ensemble de la série et de ses différentes variantes qui permet d’enrichir l’intérêt présenté par cette œuvre.

    Bibliographie

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    Briguet M.-F. (dir.) ; Briquel D. 2002, Les urnes cinéraires étrusques de l’époque hellénistique, Paris, Réunion des musées nationaux, p. 31-82.

    Campana G. (éd.) 1858, Cataloghi del Museo Campana, Rome, p. 324-326, disponible sur : https://bibliotheque-numerique.inha.fr/collection/item/50973-cataloghi-del-museo-campana?offset= [consulté en mai 2022].

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    Domenici I. 2009, « Etruscae Fabulae. Mito e rappresentazione » Archaeologica, 156, Rome, Giorgio Bretschneider (éd.).

    Körte G. (éd.) 1916, I Rilievi delle urne etrusche, Berlin, t. III, chap. II, p. 5-16, disponible sur : https://digi.ub.uni-heidelberg.de/diglit/brunn1916bd3/0010/image,info [consulté en mai 2022].

    Massa-Pairault F.-H. 2018, « Mythes et styles de l’hellénisme dans l’art funéraire de Chiusi », Revue archéologique, n°66,p. 385-386, DOI : https://doi.org/10.3917/arch.182.0349 [consulté en mai 2022].

    Massat-Pairault F.-H. 1985, « Recherches sur l’art et l’artisanat étrusco-italiques à l’époque hellénistique » Bibliothèque des Écoles françaises d’Athènes et de Rome, 257, p. 229-237, DOI : https://doi.org/10.3406/befar.1985.1235 [consulté en mai

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    Villemaux A. 2008, « Les tombeaux étrusques de l’Ouest de la France », Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest, 115-2, DOI : https://doi.org/10.4000/abpo.336 [consulté en mai 2022].

    Comparaison

    Urne, IIe siècle av. J.-C., argile, H : 17 cm ; L : 26,7 cm ; La : 13,3 cm, Besançon, Musée des Beaux-Arts et d’Archéologie, inv. 864.1.87. © 2006 Musée du Louvre / Antiquités grecques, étrusques et romaines.
    Cinerary Urn with a Reclining Man, 150-100 av. J.-C., argile, L : 35,3 cm, Los Angeles, J. Paul Getty Museum, inv. 71.AD.293.2.
    Urne, 2e moitié du IIe siècle av. J.-C., argile, H : 22 cm ; L : 35 cm ; La : 20,5 cm, Paris, Musée du Louvre, inv. ED 1929.1, © 2013 RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Tony Querrec.
    Urne, 4e quart du IIe siècle av. J.-C., argile, H : 32 cm ; L : 34 cm ; La : 20 cm, Nantes, Musée Dobrée, inv. D 863.1.7.1 (cuve) ; inv. D 863.1.7.2 (couvercle), © 2010 Musée du Louvre / Antiquités grecques, étrusques et romaines