Production de Canosa

À partir du dernier tiers du IVe siècle av. J.-C., les ateliers tarentins s’installent dans les autres villes d’Apulie où ils vont y trouver une nouvelle clientèle, leur style étant fortement influencé par la production qui s’est faite à Tarente. Dès lors, la production de vase à Canosa se distingue de la production tarentine car ce sont surtout des vases de grandes dimensions qui sont réalisés, en particulier des cratères à volutes, des amphores et des loutrophores, qui sont décorés avec une grande attention pour les détails. En effet, les vases sont décorés avec des feuilles d’acanthes, des volutes, beaucoup d’objets ainsi que beaucoup de personnages, qui peuvent aller jusqu’à trente ou plus sur un même vase. Ces figures sont souvent représentées en rehauts de rouge ou de blanc, avec des ornements en rehauts blanc, rouge ou/et jaune. Enfin, l’iconographie présente généralement, soit des sujets mythologiques, soit des scènes de genre. À partir de 360 av. J.-C., ce sont des représentations de personnages se trouvant dans un naïskos ou d’une stèle en blanc, l’architecture qui se trouve entourée de nombreux personnages en rouge, qui est le plus representé. Ces sujets répondent à des impératifs sociaux, comme nous pouvons le voir avec les représentations de scène de genre de la visite à la tombe, présentée plus bas.

Déconcentration des ateliers de Tarente dans les autres villes d’Apulie

Cratère à volutes attribués au peintre de Darius, dit Vase de Darius ou Vase des Perses, 340-320 av. J.-C., Naples, Museo Archeologico Nazionale, H3257 (élab. Anaïs Moret)

Un des peintres dont la production se retrouve à Canosa est celle du peintre de Darius, dont la période d’activité se situerait entre 340 et 320 av. J.-C. et dont il a déjà été question dans la fiche sur Tarente. Néanmoins, plusieurs de ses productions ont été retrouvées à Canosa, dont le plus célèbre étant le cratère à volutes dit Vase de Darius ou Vase des Perses , découvert en 1851. Le vase est probablement connu par les ateliers installés à Canosa car les innovations qu’apporte ce vase se retrouvent dans la production retrouvée dans la ville et ses alentours.

Le vase est de grandes dimensions, d’1m30, ce qui est monumental, puis il aborde un sujet érudit. En effet, sur le col du vase se trouve une scène de combat, probablement entre Darius et Alexandre le Grand ou lors de sa première invasion de la Grèce. Enfin, la composition de la panse est intéressante car organisée en trois registre : sur le premier se trouve les dieux disposés en frise, sur le deuxième plan est représentée une scène où Darius se trouve assis et écoute une allégorie du peuple perse, enfin au troisième plan se trouve une scène de collecte d’impôts. Ce qui est à retenir de ce vase, est qu’il apporte la grande dimension, qu’il aborde un sujet érudit organisée dans une composition logique. En outre, ce sont des caractéristiques qui se retrouvent dans la production de Canosa.

Cratère à volutes représentant une scène de naïskos attribué au peintre de Baltimore, dit The Hamilton Vase, 330-310 av. J.-C., Londres, British Museum, 1772,0320.14 (© The Trustees of the British Museum, CC BY-NC-SA 4.0)

Le peintre de Baltimore et son atelier sont probablement installés à Canosa, où sa production s’étend de 330 à 310 av J.C. dans un style apulien récent, dont il est perçu comme l’un des plus important peintre de ce style. En effet, il produit beaucoup de vase de grandes dimensions comportant un vocabulaire de motif qui se retrouve fréquemment dans la production apulienne suivant son activité. Ce vocabulaire est composé de feuilles de laurier, d’acanthes, de représentations d’animaux ainsi que du motif de la figure féminine ‹ en beauté », souvent représentée en rouge avec des rehauts de blanc ou de jaune. 

D’un point de vue stylistique, tout le vocabulaire développé par le peintre prend une place considérable, voire envahissante dans les cols et les pieds des grands vases. Son style s’inscrit dans la tradition du celui du peintre de Darius et du peintre des Enfers mais il se distingue par son ornementation importante. Une différence cependant se fait dans la proportion des figures qui est moins bien respectée, montrant un désintérêt du peintre pour le dessin anatomique et pour le naturalisme qui est peut-être dû au fait qu’il est installé dans un lieu plus éloigné du milieu colonial grec. Pour ce qui de la forme des vases, il a un éventail typologique très large allant des cratères, amphores et loutrophores porteurs de compositions à multiples personnages à des myriades de canthares, pyxides, lékanides, lébétes, plats, patères et vases décorés de motifs récurrents comme des Erotes, Nikès, femmes assises ou des têtes de femmes.

Une scène de genre populaire : la visite à la tombe

Cratère à volutes représentant une scène de naïskos attribué au peintre de Baltimore, production apulienne, 325-300 av. J.-C., Paris, musée du Louvre, Ca 485 (élab. Anaïs Moret)

Le thème iconographique de la visite à la tombe ou scène au naïskos est un thème reproduit en série de 360 à 290 av J.C. et qui se forme sur un schéma standard : une architecture au centre de la panse (naïskos) où se trouvent un ou deux personnages, le défunt. Le naïskos ainsi que le/les personnages représentés à l’intérieur sont en blanc. Le naïskos étant un petit monument funéraire typique de Tarente, sa présence dans l’iconographie apulienne est importante car elle introduit la troisième dimension dans la céramique. Cette profondeur est suggérée par la vue perspective du plafond et les volumes du naïskos qui est rendu par des jeux d’ombres et de la couleur, ce qui crée un espace pictural où se trouve le personnage au centre et dont les autres figures latérales, qui sont des offrants, en sont exclues. Enfin, d’autres personnages, souvent des pleureurs, se trouvent autour de cette architecture où ils apportent des offrandes.

Selon Claude Pouzadoux, les scènes de naïskos peuvent être perçues comme une « standardisation » du mythe d’Achille, en particulier la scène d’Achille sous sa Tente. En effet cette iconographie est vue comme un modèle d’éducation, de paideia, avec les deux figures : celle d’Achille, le jeune homme, et de Phoénix, le pédagogue, représentés sous un monument en blanc. Cette composition similaire aux scènes de naïskos et la quantité de vases retrouvés comportant cette iconographie « réduite » au nécessaire (le monument ainsi que les deux figures) laisse à penser qu’au fil de la production, le sens original du mythe à été perdu pour ne garder que les éléments essentiels de la scène, réinterprétés dans un contexte d’héroïsation du défunt. 

Deux autres ateliers, celui du Peintre du Sakkos Blanc, dont la production se situe vers 320-310 av. J.-C., ainsi que le Groupe de Stuttgart sont deux peintres et atelier qui produisent de façon contemporaine au peintre de Baltimore. Au vu de leurs caractéristiques stylistiques et iconographiques semblables, ils ont probablement été formés soit dans l’atelier du peintre de Baltimore, soit ils ont été formés à ses côtés dans l’atelier du peintre de Darius. 

Bibliographie

  • E. Degl’Innocenti, A. Consonni, L. Di Franco, L. Mancini (dir.), Mitomania, Storie ritrovate di uomini ed eroi, Rome, 2019.
  • M. Denoyelle, M. Iozzo, La céramique grecque d’Italie Méridionale et de Sicile, Paris, 2009.
  • C. Pouzadoux, ‹ L’invention des images dans la seconde moitié du IVème siècle: entres peintres et commanditaires », dans M. Denoyelle, E. Lippolis, M. Mazzei, C. Pouzadoux, La céramique apulienne, Naples, 2005, p. 187-199.
  • L. Todisco, La ceramica a figure rosse della Magna Grecia e della Sicilia, Rome, 2012.
  • A. D. Trendall, Red figure vases of South Italy and Sicily. A handbook, Londres, 1989.