L’évolution de la production céramique de Gela
Gela est une cité côtière sicéliote fondée en 689 av. J.-C. par des colons venus de Rhodes et de Crète. Elle fait partie des plus importantes cités grecque de Sicile, en particulier en ce qui concerne les échanges commerciaux avec l’arrière-pays, l’Occident et l’Orient, principalement pour le commerce de vases.
La première production de céramique à Gela, est datée de la période orientalisante, au cours du VIIe siècle av. J.-C. La première production connue, datée de la seconde moitié du VIIe siècle, est marquée par une petite production de céramique polychrome, similaire à celle d’autres cités sicéliotes, comme Mégara Hyblaea. Cette production est marqué par l’influence gréco-orientale, en particulier rhodienne.
Ensuite, des vestiges fragmentaires de la production archaïque ont été retrouvés près de la via Bonanno, dans un dépôt de four datant de la première moitié du VIIe siècle av. J.-C. La production de cette époque se caractérise par des vases figurés avec une ‹ combinaison d’éléments empruntés à la céramique archaïque rhodienne et crétoise » (Ignoglia 2013, p. 201). La production de ce type de vase prend fin au Ve siècle av J.C.
Durant la période classique, Gela joue un rôle encore plus important, dans le commerce et la politique. Vers 424 av J.C, elle accueille le Congrès de Gela, un congrès politique qui porte sur l’opposition des colonies grecques de Sicile face à l’impérialisme athénien en Occident. Les conséquences de ce congrès est la diminution des importations attiques et donc les début de la production de vases à figures rouges en Sicile. La production de vases de la ville finit par diminuer vers la fin de la période classique et Gela est détruite durant la période hellénistique, en 282 av. J.-C., par Phintias, le tyran d’Agrigente.
Les caractéristiques stylistiques et iconographiques de la production de Gela
À Gela, durant les périodes orientalisante et archaïque, la production de vases se caractérise par l’utilisation de la technique des figures noires. L’argile employée présente une grande variété de couleurs allant du rose-orangé au brun clair. Cette diversité de teintes est due aux conditions de cuisson et à la préparation de l’argile. Les vases sont parfois recouverts d’un engobe opaque de couleur blanchâtre ou crème pour faire ressortir les décors. Pour les vases décorés, un vernis de couleurs brunes, orangées ou rouges foncées est appliqué pour réaliser les figures noires se détachant sur le fond naturel de l’argile. Des retouches de peinture blanche, rouge ou violette peuvent être ajoutées par-dessus.
Les vases produits à cette époque, dont on trouve de nombreux exemplaires sur la Via Bonanno, sont destinés à contenir, servir et consommer des aliments et des boissons. On trouve ainsi des coupes, des kotyles, des lekanides, des cratères, des hydries, des œnochoes et des amphores.
Les décors sont principalement composés de formes simples et géométriques comme des guirlandes de points, des losanges, des bandes rectilignes ou ondulées, des croix, des méandres et des cercles. On trouve également des motifs végétaux et animaliers tels que des oiseaux, des chèvres, des bouquetins et des chiens.
Lors de la période classique, la production de vases de Gela se distingue par l’utilisation de la technique des figures rouges. Des rehauts de peinture blanche, rouge ou jaune sont ajoutés pour les détails comme les draperies, les objets métalliques ou les détails anatomiques des personnages et animaux.
La forme des vases produits à cette période ne change pas, il s’agit toujours de vases servant à contenir de la nourriture et des boissons, utilisés dans la vie quotidienne, pour boire, servir, puiser ou encore verser. On retrouve donc la même typologie de vase, des cratères, des coupes, des œnochoés, des hydries, des amphores, des kotyles ou encore des lekanides.
En ce qui concerne le décor, il est réparti en deux catégories, le décor principal et le décor secondaire, bien plus marqué que dans la production précédente. Le décor secondaire comporte des motifs phytomorphes (guirlandes de lierre, feuilles de lauriers, fleurs) et géométriques (méandre, guirlande de point, des oves, ruban bicolore). Quant au décor principal, il est figuré, généralement sur le centre de la panse, on trouve la présence d’éléments architecturaux (porte, estrade, bout de temple, autel), des animaux, et des personnages humains. De manière générale, l’iconographie des vases sicéliotes de cette période est variée. On retrouve des scènes mythologiques avec des divinités comme Éros ou Niké, des héros comme Héraclès, ou encore des cortèges dionysiaques avec des ménades et des satyres. Des scènes de genre représentent des jeunes hommes et femmes. Enfin, des scènes phlyaques reprennent des pièces de théâtre tragiques ou comiques, avec des personnages portant des masques.
Le Peintre de Manfria
Le Peintre de Manfria, actif entre 340 et 320 av. J.-C., est un bon exemple pour la production de vases dans la région de Gela. Il est associé au Groupe de Lentini-Manfria qui comprend également le Peintre de Lentini. Ont été attribués au Groupe Lentini-Manfria 37 vases, dont 21 vases du Peintre de Lentini et 16 autres vases pour du Peintre de Manfria. Ces vases sont de types divers, on trouve des lékanides, des lebetes gamikoi, des pyxides, des amphores, des œnochoés, des phiales, ou encore des skyphoi.
La production du Peintre de Manfria se caractérise par une composition simple, formée d’une ou deux figures, disposées sur un seul niveau. Quant au décor secondaire, il est souvent phytomorphe avec des motifs de feuilles, ou de palmettes avec des fleurs. Concernant l’iconographie, on retrouve des scènes mythologiques, avec la présence d’Éros, des scènes de cortège dionysiaque avec des ménades et des satyres, des scènes génériques, ou encore des scènes phlyaques.
L’un des vases attribués à la production du groupe Lentini-Manfria est un cratère en calice daté de 350-340 av. J.-C, réalisé en Sicile, en argile, à figure rouge et rehaut de peinture blanche, et faisant partie des collections du Département des Antiquités grecques, étrusques et romaines du musée du Louvre, nous intéresse pour illustrer le type iconographique des vases phlyaques.
On retrouve dans ce vase certaines des caractéristiques stylistiques des vases de production sicéliote. Il s’agit d’un vase à figure rouge présentant des rehauts de peinture blanche. On trouve un décor secondaire phytomorphe composé de guirlandes de feuilles de lierres dans la partie supérieure de la panse. Le décor principal, situé sur le centre de la panse, reprend l’iconographie des scènes de théâtres comiques, avec la présence de deux personnages portant des masques de théâtre. Pour l’un on retrouve l’utilisation de peinture blanche pour indiquer qu’il s’agit d’une personne âgée, mais on retrouve aussi des formes d’architectures, ici se rapportant au théâtre, avec une estrade et une porte.
Bibliographie
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