La production de vases débute à Lipari dès sa fondation en 580 av. J.-C. par des Cnidiens. Les fragments conservés de cette époque proviennent du bothros (puits à offrandes) d’Eole localisé sur l’acropole de la cité. Pour cette époque, il s’agit essentiellement de vases d’usage courant, qui emploient une argile très fine, de couleur brun pâle avec des fragments de mica. Il est important de noter que l’argile se trouvant à Lipari est d’une qualité moindre et est donc mélangée à de l’argile importée de la côte septentrionale sicilienne.
Certaines formes sont uniques à Lipari, comme les œnochoés à bouche ronde, des cratères ouverts à anses à bouton et des coupelles à pied ‹ chalcidien » (originaire de Rhégion), définies par François Villard.
Lipari ne devient un centre de production important qu’au cours de la deuxième moitié du IVe siècle av. J.-C. Nous observons, à cette même période, des échanges avec la Campanie, puisque des vases de production campanienne se retrouvent dans les nécropoles de Lipari.
La production de Lipari à cette époque est réalisée avec la même argile que pour les périodes antérieures et est principalement constituée de cratères en calices avec des scènes complexes, multipliant les tableaux, souvent inspirés par des thèmes tragiques. Dès le troisième quart du IVe siècle av. J.-C., le Peintre de Lipari, personnalité la plus connue, développe une importante production considérée comme l’aboutissement de la polychromie de Lipari.
Un des premiers peintres de vases à figures rouges de Lipari est le peintre de Cefalù, actif dès le milieu du IVe siècle av. J.-C. Ses thèmes de prédilection sont des thèmes mythologiques et des scènes génériques, notamment les scènes de gynécées (scènes féminines). Il peint souvent des groupes de deux femmes, de trois-quarts ressemblant très fortement au style cumain. Il pratique la technique des figures rouges mais limite les couleurs surajoutées, donnant un ensemble assez sobre. L’artiste joue avec le contraste de l’argile et du vernis noir, des couleurs supplémentaires étant ajoutées en petites touches. Il utilise surtout le blanc, le jaune et le rouge foncé qu’il limite aux accessoires de ses scènes figurées. Il produit principalement des lekanai de petite taille dans lesquelles il donne une grande importance au motif de la palmette. Il peint souvent un motif de feuille sur l’épaule près des anses. Le dessin gracieux de ces ornements se retrouve ensuite sur la céramique de la même époque à décor surpeint influencé par le style de Gnathia apulien, qu’il a probablement introduit sur l’île.
Le peintre de Lipari, personnalité la plus connue de cette production, est actif entre 290 et 252 av. J.-C. selon la chronologie proposée par L.B. Breà et M. Cavalier. Sa production est très proche de celle du peintre de Cefalù, qui pourrait être son maître ou constituer sa première phase de production, selon M. Cavalier. La majeure partie des vases de sa production a été retrouvée dans la nécropole hellénistique de la Contrada Diana à Lipari. Ses vases sont essentiellement liés aux rites funéraires et il ne réalise pas de grande composition mythologique contrairement aux périodes antérieures. La forme et le décor des vases semblent liés aux croyances eschatologiques nouvelles qui se développent, au sein desquelles la mort est imaginée comme l’union de l’âme du défunt avec la divinité. Aphrodite devient ainsi la représentatrice des plaisirs qui attendent le défunt après la mort.
Trois thèmes reviennent principalement dans sa production : les scènes nuptiales, le mariage d’Héra et les scènes génériques autour de figures féminines faisant des offrandes.
Les scènes figurées sont entourées d’ornements floraux, où se trouvent beaucoup de pampres de vignes et de guirlandes de liserons. Certaines de ses anses sont surmontées d’un oiseau prêt à s’envoler. Les jeux de lumière sont particulièrement développés avec la dilution du vernis et les différentes nuances d’une même couleur. Ils sont accompagnés de juxtapositions de plages de couleurs fraîches à tempera, posées après cuisson. Il se sert presque exclusivement de la couleur de l’argile pour les nus qui sont ensuite ombrés par du vernis dilué. Les palmettes sont enduites de vernis rougeâtre. Du kaolin est mélangé à l’argile et donne cette couleur pâle aux vases. Il utilise le blanc et le jaune mais rajoute le bleu, le rose, le rouge foncé, le brun et le vert. La découverte d’un vase inachevé montre l’existence d’inscriptions correspondant aux lettres des couleurs à appliquer. Cela suggère que l’atelier était suffisamment important pour nécessiter ce genre d’organisation en série, chaque tâche étant réalisée par un artisan avant d’être confiée au suivant.
Le sac de l’île par Agathocles en 304 av. J.-C. a peut-être influencé le goût qui se développe pour les modèles lysippéens, ce qui se voit dans la représentation de l’anatomie et qui se retrouve dans les fresques de la même période. La production du peintre de Lipari est étroitement liée à la peinture contemporaine, avec l’utilisation intensive de la polychromie, les jeux de lumières et les ombres très plastiques modelant les corps. Cet intérêt pour la polychromie intense est inspiré des vases Kertch tardifs, produits en Grèce orientale et se diffusant au milieu du IVè siècle av. J.-C. à travers la production athénienne.
La destruction de Lipari en 252 av. J.-C. marque la fin de la production locale et l’émigration des artistes locaux dans d’autres villes.
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