L’intérêt pour la céramique paestane apparaît au début du XIXe siècle, avec la découverte, en 1805, de deux tombes dans la nécropole près de Porta Aurea, à Paestum. Ces fouilles, menées par le surintendant des antiquités du Royaume de Naples et des Deux-Siciles, ont permis de trouver un grand nombre de vases figurés. Ces découvertes accordent alors à Paestum une place importante pour la production de vases à figures rouges, d’autant plus que cette production est aujourd’hui connue par la signature de deux peintres, Astéas et Python, ce qui est exceptionnel.
L’origine de la production paestane est liée à la production sicéliote. Le premier atelier paestan de vases à figures rouges est daté de 390-380 av. J.-C. et se place en rupture avec les productions italiotes plus anciennes, celles de Métaponte et de Tarente. Selon certains chercheurs, des Sicéliotes auraient fuit la tyrannie de Hiéron de Syracuse et se seraient alors réfugiés à Paestum durant cette période. Parmi eux, des artisans sicéliotes auraient lancer une production de vases à figures rouges, dont le groupe de Dircé, le groupe de Prado Fienga et le groupe du Peintre du Louvre K 240. Les vases à figures rouges sicéliotes permirent d’établir les premiers canons stylistiques de la production paestane, qui a développé par la suite un style qui lui est propre. Les ateliers de productions de vases à figures rouges de Paestum sont très productifs. Les vases ne sont pas seulement exportés aux régions voisines mais aussi en Campanie et dans les cités Éoliennes.
Paestum se situe en Campanie, dans la région de Salerne où l’argile a une couleur brune orangée. Cette couleur permet de différencier la production paestane des productions d’Italie du Sud. La seconde caractéristique qui permet de la différencier des autres ateliers italiotes est le choix des formes donnés aux vases. La plupart sont des cratères, notamment des cratères en cloche, on retrouve plus rarement des cratères à volutes et jamais de cratères à colonnettes. On y trouve également des amphores et des hydries en grand nombre. Même si quelques exceptions sont notables, les formes utilisées par la production de Paestum sont des vases de grandes dimensions qui permettent un décor et une iconographie plus complexes.
Les peintres paestans ont développé l’encadrement des scènes iconographiques, déjà présent dans l’art sicéliote. Ces cadres sont composés de palmettes ou < framing palmette >, de volutes, de motifs végétaux comme la < fleur d’Astéas > sur les côtés et d’une frise de méandres ou postes sous les scènes.
En ce qui concerne l’iconographie, les scènes mythologiques sur les vases paestans possèdent une composition particulière, avec deux registres : les divinités qui observent la scène d’en haut et la scène principale dans la partie inférieure. Pour la mythologie, les thèmes iconographiques les plus fréquents de l’art paestan sont les scènes dionysiaques, reconnaissables par la présence du dieu tenant son thyrse et portant la couronne de lierre ou de vigne. Il peut être seul, ou accompagné de sa thiase, les ménades et les satyres, ou parfois absent et seulement évoqué par la présence de son cortège. Parfois Dionysos se retrouve dans une scène théâtrale, avec un masque comique. Le théâtre, en particulier la comédie, a inspiré les scènes phlyaques, avec des sujets élaborés. Le troisième thème iconographique le plus représenté est celui des préparations de noces, notamment sur les lébètes gamikoi, vases intimement liés à ces cérémonies. Certaines scènes sont particulièrement rares comme les scènes de retour de guerriers ou encore les scènes funéraires. Les vases paestans se caractérisent également par la présence de personnages génériques sur de nombreuses images.
Les productions paestanes sont aujourd’hui très connues pour leur vaste polychromie, avec des rehauts de blancs pur ou détaillé, des vernis dilués, du doré, du jaune clair ou oranger, du brun, du rouge et du violet. Maintenant nous allons nous intéresser aux différents groupes et peintres Paestans.
Les précurseurs
En premier lieu, les précurseurs sont les artisans sicéliotes qui débutent la production à Paestum, ils donnent ainsi les premières influences et les premiers motifs à la production paestane. C’est le cas du groupe sicéliote du Peintre de Dircé, qui produit des vases à Paestum à partir de 380 av. J.-C. On y retrouve déjà un encadrement des scènes iconographiques par des végétaux, des motifs de palmettes à volutes ou de palmettes en éventails. Un des thèmes de prédilection du groupe sont les scènes dionysiaques, avec des silènes et des ménades, qui sont aussi présents sur de nombreux vases paestans postérieurs. De plus, la recherche de polychromie tant marquée sur les vases d’Astéas et Python est déjà présente (violet, blanc, orange, jaune). Contrairement aux cratères campaniens et apuliens, les premiers cratères en cloche de Paestum, réalisés par le groupe du Peintre de Dircé, ont des bords droits, pour suivre la forme rectangulaire des images.
De plus, le groupe sicéliote de Prado Fienga, actif à Paestum à partir de 380-360 av. J.-C, marque la production paestane par l’usage de nombreux rehauts de couleurs, comme le peintre de Dircé. Bien que ce groupe produise essentiellement des cratères en cloche et en calice, les artistes produisent aussi des olpai, des skyphoi et des pyxides qui restent des formes produites majoritairement en Sicile. Ils ne fabriquent pas d’amphores à col, forme populaire en Campanie et à Paestum mais pas en Sicile, contrairement au Peintre de l’Oreste de Genève, auquel ce groupe reste très proche d’un point de vue stylistique. Ce peintre qui produit des vases surtout entre 360 et 350 av. J.-C, a une influence indéniable sur Astéas. Selon certains chercheurs, le Peintre de l’Oreste de Genève aurait été le mentor ou le compagnon d’atelier d’Astéas. Cette proximité est soulignée par le fait que certains vases créés par Astéas ont même été faussement attribués au peintre de l’Oreste de Genève.
Le dernier précurseur pertinent à aborder est le peintre du Louvre K 240. Encore aujourd’hui, il est difficile de savoir si ce peintre sicéliote est le maître d’Astéas ou s’il s’agit du même artiste, correspondant à une première phase de la production d’Astéas. Mais le style du Peintre du Louvre K 240 se démarque de la production de l’atelier d’Astéas et Python par une plus faible utilisation de la polychromie et de l’ornement. En effet, ces différents artistes précurseurs permettent de poser les bases de la production paestane. Pourtant, le traitement des personnages aux postures raides et sèches, les mentons lourds dans la production du groupe de Prado Fienga et du peintre du Louvre K240, disparaissent sous l’atelier d’Astéas et Python, marquant une production différenciée.
Astéas et Python
Le groupe d’Astéas et Python est souvent considéré comme l’apogée qualitative de la production paestane. Il a produit un très grand nombre de vases aux décors ornés et avec une riche polychromie. Comme nous l’avons déjà évoqué, le nom des deux peintres est connu car ils signaient leurs œuvres,(13 vases connus à ce jour pour Astéas et 2 pour Python), la signature d’Astéas n’apparaît que sur ses vases produits à Paestum . Astéas connaît un grand succès à Paestum et en Campanie, mais pas en Sicile. Il est surtout actif entre 360 et 330 av. J.-C, mais on retrouve dès 380 av. J.-C des vases de sa phase expérimentale. Avec des scènes équilibrées et symétriques, son style se distingue par un dessin clair, des lignes de points blanc, le motif du disque solaire et des drapés lourds. Il élabore aussi certains motifs comme la fleur d’Astéas ou la palmette sous la anse qui est ensuite reprise dans la production italiote. Sa phase d’expérimentation est caractérisée par des visages arrondis et des têtes ou bustes de femmes pour décorer le haut des vases. Sa phase de maturité montre une plus grande polychromie et un traitement anatomique des personnages très minutieux. Elle se distingue aussi par le choix de cratères en cloche ou en calice assez grands, soulignant une recherche de monumentalité et permettant des compositions complexes. On retrouve encore un grand intérêt pour l’iconographie liée à Dionysos, avec des silènes et des ménades, mais aussi des thèmes iconographiques liés au théâtre et des scènes mythologiques.
Astéas est le maître du peintre Python. Actif entre 340 et 320 av. J.-C, Python représente des scènes dionysiaques, mythologiques ou phlyaques, comme son maître. Il se distingue aussi par des sujets mythologiques peu représentés, comme la naissance d’Hélène. Comme Astéas, il peint principalement sur les vases de grandes tailles, comme les hydries et les amphores à col. Son style se caractérise également par un grand souci du détail des motifs décoratifs et un fort usage du point blanc. Python est l’artiste qui utilise le plus de polychromie de la production paestane. Il se démarque d’Astéas par des erreurs d’anatomie et de proportions ainsi que des drapés lourds et élaborés, donnant un aspect sculptural aux personnages. Comme son maître et ses précurseurs, il a recours à des végétaux pour encadrer ses scènes et ajoute à cela ses propres motifs de damiers et méandres placés sous les images. On lui attribue également deux phases, dont la première, phase d’expérimentation, témoigne d’une grande influence d’Astéas, tandis que sa maturité se caractérise par une plus grande monotonie et moins de détails, se rapprochant davantage de la production apulienne tardive.
Les successeurs
Astéas et Python marquent considérablement la production paestane et les peintres à leur suite, notamment des élèves de Python. Certains élèves s’inscrivent en continuité avec les travaux de cet atelier, comme Peintre de Wurtzbourg, le plus fidèle au style de Python. Le Peintre d’Aphrodite reprend aussi le style de l’atelier de Python et Astéas tout en développant des caractéristiques apulianisantes propres à sa production. En effet, dans ses vases on retrouve un fort intérêt pour la polychromie mais il se différencie d’Astéas et Python par des rehauts blancs et jaunes au cœur des palmettes. Le Peintre d’Aphrodite est aussi connu pour ses lebetes gamikoi et des vases féminins comme les hydries et les lécythes. Il se singularise également par une iconographie érotique, avec des figures de femmes peintes en blanc et un traité des figures masculines plutôt éfféminé. Il peint notamment des scènes nuptiales, des scènes de l’épiphanie d’Aphrodite et des scènes de rencontre. La forte utilisation du blanc par le Peintre d’Aphrodite se retrouve aussi dans les vases produits par le groupe de Caivano, qui se caractérisent par une plus forte influence campanienne. Comme le Peintre d’Aphrodite, le Peintre de Naples 2585 semble à la fois en continuité et en rupture avec le groupe d’Astéas et Python. En effet, certains motifs ornementaux dérivent directement de la production de Python et du Peintre de Wurtzbourg, comme des triangles en écoinçons, des tympanons ou encore des feuilles de lierres. Il y a également une forte polychromie. Il représente principalement des scènes mythologiques féminines comme la naissance de Vénus, Danaé ou le Jugement de Pâris. Les personnages et les palmettes d’encadrement sont stylisés.
Si certains élèves de Python sont en continuité avec son style, d’autres sont en rupture, comme c’est le cas du Peintre de l’Oreste de Boston. Le style de ce dernier se caractérise en effet par une faible polychromie, une absence de naturalisme et des postures raides dans le traité des personnages, avec des traits grossiers et des erreurs anatomiques. Il y a aussi un développement des motifs ornementaux. Le Peintre de l’Oreste de Boston s’inscrit dans la dernière période de production paestane de vases à figures rouges, datée entre 315 et 285 av. J.-C. Elle est marquée par une forte influence de l’Apulie. L’artiste qui représente aussi bien cette période est le Peintre de Naples 1778. Son style, ses ornements et son traitement des drapés sont très proches du groupe de Caivano. Ce peintre utilise aussi beaucoup de nouveaux motifs comme les points pour marquer la ligne de sol, des bandes en réserves et la palmette à feuille qui le caractérise. Comme pour le peintre de l’Oreste de Boston on retrouve un dessin stylisé, avec une simplification des figures humaines et des erreurs anatomiques.
En 273, Paestum devient une colonie romaine. La production de vases à figures rouges se poursuit durant cette période avant de disparaître progressivement à la fin du IIIe siècle. Les Romains restèrent longtemps, jusqu’au pillage de la ville par les Saracènes, qui marque l’abandon définitif de ce site.
Bibliographie
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- M. Denoyelle, ‹ Intorno ai vasi a figure rosse della tombe 100 di Torre Mare :mobilità stilistica e atticismo a Metaponte », dans M. Denoyelle, C. Pouzadoux, F. Silvestrelli (dir.), Mobilità dei pittori e identità delle produzioni, Naples, 2018, p. 161-169.
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