Production de Tarente

Tarente, seule cité grecque d’Apulie, est le centre de production céramique principal de la région, présent quasiment depuis la fondation de la cité vers 703 av. J.-C. jusqu’à la fin de l’époque classique.

La production d’époque orientalisante et archaïque

Les origines de la production tarentine remontent à l’époque orientalisante, marquée par une influence notable de la Grèce de l’Est, notamment de la Crète, bien que sa production était limitée.

La production tarentine s’est ensuite développée au début de l’époque archaïque, sans doute par l’installation d’artisans venus de Corinthe, et est marquée par l’influence corinthienne. Il semble d’ailleurs que de l’argile de Corinthe ait été importée à Tarente. La production se distingue par l’adoption massive du cotyle, une forme de vase typiquement corinthienne, et par la présence fréquente de frises d’animaux, également d’influence corinthienne.

La production de la seconde moitié du VIe siècle av. J.-C. marque un tournant stylistique, s’inscrivant désormais sous l’influence attique. Cette évolution s’explique par le contexte politique de l’époque, où Athènes s’affirme comme un acteur majeur des échanges commerciaux avec l’Occident. À Tarente, cette influence s’exprime par la production d’amphore largement recouvertes de vernis noir et dont les scènes figurées se trouvent dans les tableaux sur la panse.

La production d’époque classique

C’est à partir de la seconde moitié du Ve siècle avant J.-C. que la production de vases de Tarente connaît son apogée avec l’émergence de la production de vases à figures rouges. Celle-ci se divise en trois grandes phases définies par A. D. Trendall :

  • L’‹ Apulien ancien » prenant place seulement à Tarente entre 440 et 370 av. J.-C. Cette période est caractérisée par une forte influence du style attique et l’émergence des premiers peintres locaux.
  • L’‹ Apulien moyen », se place également uniquement à Tarente entre 370 et 340 av. J.-C. Cette phase de transition voit l’affirmation progressive d’un style propre à la céramique apulienne, avec le développement du ‹ style simple » et les prémices du ‹ style orné ».
  • L’‹ Apulien récent », de 340 à 300 av. J.-C., est marqué par le déplacement d’artisans tarentins vers d’autres sites comme Ruvo, Canosa et Arpi. Cette période voit l’épanouissement du ‹ style orné » et la production de vases de grandes dimensions avec des compositions complexes.

Outre cette division chronologique, Trendall proposait également une division esthétique, d’une part le ‹ style simple » et, d’autre part, le ‹ style orné » apparaissant tous deux au IVe siècle av. J.-C. :

  • Le ‹ style simple » se caractérise par une utilisation limitée de la couleur et des scènes mettant en scène un nombre restreint de personnages, généralement moins de quatre. Les formes privilégiées sont les cratères en cloche et à colonnettes, ainsi que des vases de dimensions moyennes comme les hydries et les pélikai. Les thèmes abordés sont variés, allant de la mythologie aux scènes de la vie quotidienne.
  • Le ‹ style orné », quant à lui, se développe vers le milieu du IVe siècle av. J.-C. et se se distingue par sa complexité accrue. Il se manifeste sur des vases de grande taille, notamment les cratères à volutes, les amphores et les loutrophores. Les œuvres les plus élaborées peuvent présenter des compositions foisonnantes, regroupant jusqu’à une vingtaine de personnages.

L’‹ Apulien ancien » (440 et 370 av. J.-C.)

Dessin du cratère en calice éponyme du Peintre de la Danseuse de Berlin, Berlin, Antikensammlung, F2400

Les premiers peintres de vases à figures rouges de Tarente, actifs à la fin du Ve siècle av. J.-C., montrent encore une forte influence du style attique. Parmi les personnalités importantes de cette première génération se trouvent le Peintre de la Danseuse de Berlin (actif entre 430-410 av. J.-C.), le peintre de Hearst (actif entre 425 et 400 av. J.-C.) et le Peintre de Sisyphe (actif entre 420 et 400 av. J.-C.)

Leur production se compose principalement de cratères en cloche et en calice de dimensions moyennes. Les Peintres de la Danseuse de Berlin et de Hearst introduisent au répertoire vasculaire apulien l’amphore pseudo-panathénaïque, dérivée de l’amphore panathénaïque qui était la récompense des vainqueurs des jeux panhelléniques, très appréciée des indigènes. Le Peintre de Sisyphe a également réalisé des vases plus grands avec des scènes mythologiques complexes sur plusieurs registres, considérés comme précurseurs du style orné.

Le répertoire iconographique de ces peintres se compose essentiellement de scènes de genre, mais aussi de scènes mythologiques, ainsi que de thèmes liés à l’univers dionysiaque et d’Éros. Leur style se caractérise par la présence d’éléments du paysage, ainsi que par un décor ornemental incluant des frises de feuilles de laurier au-dessus de la scène principale et des frises de méandres en-dessous.

Dessin d’après un cratère en cloche du Peintre de Tarporley, vers 400-390 av. J.-C., University of Sydney, Nicholson Collection, NM47.5

La deuxième génération de peintres tarentins, active entre 400 et 350 av. J.-C., se caractérise par un affranchissement progressif de l’influence attique et l’affirmation d’un style propre à la céramique apulienne. Figure majeure de cette période, le Peintre de Tarporley (actif entre 400 et 380 av. J.-C.), élève du Peintre de Sisyphe, est considéré comme le pionnier du ‹ style simple ». Son style se distingue par des figures élancées, des compositions claires et une utilisation limitée des rehauts de couleur.Le répertoire des formes reste proche de celui de la génération précédente, se concentrant principalement sur les cratères en cloche et en calice. L’iconographie se caractérise par une préférence pour les scènes de genre. Les thèmes dionysiaques occupent une place importante dans son œuvre, incluant des représentations du dieu Dionysos lui-même, de son cortège (thiase), et des scènes liées au théâtre.
À cette même génération appartient le Peintre de la Naissance de Dionysos (actif entre 410 et 390 av. J.-C.), qui est considéré comme l’un des initiateurs du ‹ style orné ». Il se distingue par ses représentations de scènes mythologiques sur des cratères à volutes. En outre, il réalise également des scènes dionysiaques sur des vases de plus petites dimensions.

L’‹ Apulien moyen » (370-340 av. J.-C.)

L’Atelier du Peintre de l’Ilioupersis et du Peintre d’Athènes 1714 (365-350 av. J.-C.) marque le développement du ‹ style orné ». Le Peintre de l’Ilioupersis a notamment contribué à développer la production de cratères à volutes de grandes dimensions, sur lesquels il représentaient des scènes mythologiques et funéraires (avec naïkos) complexes et élaborées, souvent disposées sur plusieurs registres. L’intégration d’éléments architecturaux permet d’introduire une certaine perspective dans ses oeuvres. Quant au Peintre d’Athènes 1714, il réalise surtout des vases de taille moyenne, tels que des cratères en cloche et en calice, décorés de scènes dionysiaques et liées à Éros. Sa production est plutôt à rapprocher du ‹ style simple ». L’activité des deux peintres est complémentaire et semble répartie entre divers types de destinations et de clientèle.

L’‹ Apulien récent » (340-300 av. J.-C.)

Cratère en calice éponyme du Peintre de Lycurgue, vers 350-340 av. J.-C., Londres, British Museum, 1849,0623.48 (© The Trustees of the British Museum, CC BY-NC-SA 4.0)

Parmi les peintres installés à Tarente les plus importants du ‹ style orné » se trouve le Peintre de Lycurgue, actif entre 360 et 345 av. J.-C. Il apparaît comme un successeur direct du Peintre de l’Ilioupersis, adoptant et développant les innovations stylistiques et thématiques introduites par ce dernier. Sa production se concentre principalement sur des vases de grandes dimensions tels que des cratères à volutes, des amphores, des loutrophores et des hydries, ce qui lui permet de créer des compositions complexes comportant jusqu’à vingt personnages. Le style du Peintre de Lycurgue se distingue par un dessin précis et un rendu soigné des détails, des figures harmonieuses et soignées, l’utilisation abondante de couleurs, notamment le rouge, le blanc et le jaune, ainsi que l’introduction d’éléments en perspective, comme des naiskoi. Son répertoire iconographique est marqué par des scènes mythologiques et tragiques, de l’univers dionysiaque, de l’univers d’Éros et des scènes à la tombe. Il a exercé une influence significative sur les artistes qui lui ont succédé, en particulier le Peintre de Darius.

Amphore représentant la déploration de Niobé, attribuée au peintre de Varrese, provenant de l’hypogée Varrese à Canosa, Tarente, Museo Archeologico Nazionale, 8935. (élab. Anaïs Moret).

Le Peintre de Varrese, actif entre 355 et 340 av. J.-C., était contemporain du Peintre de Lycurgue. Il s’est illustré dans la création de vases de grandes dimensions, notamment des cratères en cloche, à colonnettes et à volutes, des hydries et des amphores. Sa production comprend également de nombreux vases de taille moyenne, en particulier des pelikai. Son répertoire iconographique comprend des scènes mythologiques et tragiques sur les grands vases, et des scènes générique et liées à Éros sur les vases moyens. Le style du Peintre de Varrese se distingue par l’élégance de ses figures, la précision de son dessin et le souci du détail. Les personnages féminins sont reconnaissables à leur coiffure en chignon ornée d’un ruban blanc, parfois agrémentée d’un kekryphalos et d’un diadème. Les figures masculines portent souvent un bandeau blanc sur la tête. Un élément récurrent de ses œuvres est la représentation de personnages tenant des attributs, tels que des boîtes, des branches ou des fruits. Il se démarque également par le soin particulier qu’il apporte aux zones secondaires de ses compositions. Il utilise pour cela une palette de couleurs innovante, incluant notamment l’orange et le pourpre.

Le Peintre de Darius est une figure majeure de l’‹ Apulien récent ». Selon C. Pouzadoux, il est héritier de la tradition élaborée à Tarente par trois générations de peintres et de potiers. Son style se distingue par des compositions complexe, son usage des rehauts de couleurs, et une grande expressivité dans le rendu des figures. Ses œuvres, contemporaines des conquêtes d’Alexandre le Grand, témoignent de l’influence des événements historiques sur l’art de l’époque, comme le montrent les autres vases attribués à ce peintre représentant des épisodes liés aux victoires d’Alexandre sur Darius III. Le Peintre de Darius est reconnu pour son innovation iconographique, notamment dans sa réinterprétation du mythe d’Europe. Il a créé une nouvelle représentation où Europe fait face au taureau plutôt que d’être assise sur son dos, une scène interprétée comme le moment de la séduction d’Europe par Zeus.

Dessin du mythe d’Europe sur une amphore attribuée au Peintre de Darius, Naples, musée archéologique national, 3218.

Son influence sur les autres peintres de l’Apulien récent est considérable. De nombreux artistes de cette période sont considérés comme ses disciples ou collaborateurs, tels que le Peintre de Baltimore, le Peintre des Enfers et le Peintre du Sakkos blanc qui ont quitté Tarente pour s’établir dans des cités italiques, plus près de leur clientèle indigène, comme d’autres peintres. Il se sont notamment installés à Canosa, Arpi et Ruvo

Bibliographie

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