Vie des vases après leur découverte

La vie des collections

La majorité des vases antiques conservés dans les musées proviennent d’anciennes collections privées rassemblées par de riches amateurs au dès le XVIIe siècle. Dès cette époque émerge un certain goût pour l’antique, favorisé par la pratique de l’aristocratie européenne du Grand tour, le voyage des jeunes aristocrates à travers toute l’Europe.

Les vases antiques étaient, en effet, très recherchés lors du Grand Tour. Les collectionneurs privés constituaient des collections impressionnantes de ces objets, souvent acquis sur le marché antiquaire lors de leurs voyages en Italie. L’acquisition de ces vases s’inscrivait dans une volonté de s’approprier l’héritage antique, perçu comme un symbole de savoir et de raffinement. Les collectionneurs acquéraient ces objets sur le marché antiquaire, lors de fouilles clandestines ou même dans des collections déjà établies. Le Grand Tour a ainsi contribué à la diffusion de ces pièces archéologiques dans les collections particulières européennes. L’arrivée de ces vases dans les collections privées a contribué à l’essor d’un nouveau style décoratif, le néo-classicisme, qui s’inspirait des formes et des motifs antiques. Les vases ornaient les demeures des élites européennes, témoignant de leur goût pour l’art et la culture.

Ensuite, ces collections privées sont entrées dans les collections des musées grâce à des acquisitions, des dons et des legs réalisés, essentiellement, à partir du XIXe siècle.
La collection Campana, constituée par le marquis Giampietro Campana, est l’une des collections les plus connues et les plus importantes du XIXesiècle. Guidé par une passion pour l’art , Campana a réuni une collection d’une ampleur exceptionnelle, comprenant des vases, des bronzes, des bijoux, des monnaies, des terres cuites, des peintures et des sculptures. Campana souhaitait créer un ‹ musée universel » avec sa collection. Cependant, en 1857, Campana a été arrêté et condamné pour détournement de fonds du mont-de-piété du Vatican, dont il était le directeur. En 1859, il a dû céder sa collection au gouvernement pontifical. En 1861, reconnaissant la valeur de la collection Campana, Napoléon III décide d’en acquérir une grande partie pour la France. Cette acquisition s’inscrit dans le projet de création d’un musée dédié aux arts décoratifs et industriels, capable de rivaliser avec les institutions similaires en Europe. Ces vases intègrent les salles du Département des Antiquités grecques, étrusques et romaines auxquelles est donné le nom du collectionneur romain. Le Louvre a ensuite réalisé des envois de ‹ séries types » de vases aux musées de province.

Il peut néanmoins exister d’autres formes d’acquisition des collections comme le don ou le legs. C’est ainsi que le duc de Luynes a fait don de sa collection au Cabinet des médailles en 1862. Les vases y occupent une place majeure, comptant 87 vases entiers et plus de 300 fragments. Cette donation au Cabinet des médailles est l’une des plus importante du XIXe siècle.

La restauration et la dérestauration

Au XIXe siècle, les repeints de vases antiques étaient une pratique courante parmi les collectionneurs d’antiquités. De nombreux vases incomplets ou endommagés étaient restaurés et repeints pour leur redonner un aspect plus attrayant et complet.  Confiée à des peintres, la ‹ restauration » est néanmoins un sujet sur lequel nous disposons de peu d’informations étant donné que ces derniers ne retranscrivaient pas par écrit les différentes étapes de leur travail.

Pour comprendre les enjeux de ces ‹ restaurations » nous pouvons nous pencher sur un lébès gamikos, attribué au groupe du Peintre de Primato (K 574), issu de la collection Durand, restauré par Brigitte Bourgeois et étudié par Hélène Cassimatis. Le rapport de Brigitte Bourgeois permet de comprendre les différentes étapes de la dérestauration sur ce vase italiote. Avant intervention, l’objet présentant une série de cassures ayant été comblées au mastic, la question de ‹ l’authenticité du décor » s’est rapidement posée. La première étape de la dérestauration consistait à enlever la couche cirée placée par les restaurateurs du XIXe siècle puis à faire disparaître les repeints avec de l’eau chaude. Les scientifiques ont constaté que le décor du lébès gamikos avait été presque en totalité modifié. Ainsi, la dérestauration nous permet de comprendre les qualités esthétiques et visuelles attendues d’un vase à l’époque : une surface lisse, pleine et décorée de toutes parts. De plus, le respect de l’œuvre picturale d’origine n’était pas la priorité. Et, enfin, Brigitte Bourgeois met également en évidence que la dérestauration permet de retrouver les particularités de chaque vase ‹ occultée sous le maquillage standard qu’avait cherché à restituer le XIXe s ». En effet, les restaurateur du XIXe siècle n’ont pas laissé de traces écrites de leurs interventions car il n’existait pas, comme aujourd’hui, un protocole précis à suivre dans le cadre d’intervention sur des œuvres d’arts obligeant ces derniers à documenter les étapes de leur travail. Néanmoins, nous pouvons comprendre le choix de certaines interventions en s’intéressant aux critères indispensables que devaient présenter un vases pour être vendu sur la marché de l’art. Pour le cas du lébès gamikos, l’utilisation importante du mastic peut s’expliquer par le fait que les vases devaient être entier et sans cassures. De plus, la femme présente sur de la face A c’est pas celle d’origine et a été totalement refaite au XIXe siècle. En effet, il fallait qu’elle correspondent au type féminin antique que le marché d’art appréciait.

Lébès gamikos, attribué au groupe du Peintre de Primato, vers 325-300 av. J.-C., Paris, musée du Louvre, K 574 (© 2010 Musée du Louvre, Dist. GrandPalaisRmn / Anne Chauvet)


Les restitutions

En 1978, l’UNESCO a créé le Comité intergouvernemental pour la promotion du retour de biens culturels à leur pays d’origine ou de leur restitution en cas d’appropriation illégale. C’est par cet organisme que les musées ou institutions doivent déposer leur demande de restitutions. 

Néanmoins, certaines restitutions peuvent se faire sans l’intervention de ce comité comme ce fut le cas pour en janvier 2008, lorsque le Metropolitan Museum of Art de New-York a restitué à l’Italie le cratère d’Eurphoronios. L’acquisition de ce dernier a été fait en 1972 et, dès lors, sa provenance avait suscité des interrogations : pourquoi les spécialistes ne connaissaient pas jusqu’à lors l’existence de vase se trouvant en la possession d’un collectionneur anglais dont l’identité n’avait pas été révélée ? C’est finalement une enquête lancée en 1995 par l’Office de protection du patrimoine culturel italienne qui a permis de comprendre le contexte de découverte du vase et son extraction illégale hors d’Italie, sous la direction du marchand d’art Giacomo Medici. C’est ensuite le trafiquant d’art américain Robert Hecht qui a vendu le cratère d’Eurphoronios au M.E.T. Ainsi, c’est plus de dix ans après le début de cette enquête que le M.E.T s’est engagé auprès du ministère italien du patrimoine, à restituer se vase. Les problèmes que peuvent rencontrer les États dans le cadre de procédures de restitution s’explique notamment par fait que tous ne disposent pas de la même législation dans le cas de soustraction illicite d’objets d’arts. Cependant, ce genre de contrat engageant la restitution du vase, bien que non transposable à d’autres affaires, à permis la mise en place d’un « programme de coopération culturelle » entre l’Italie et les Etats-Unis.

Bibliographie

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